
Point de fuite ? Vos papiers svp 🥸
• Titre original : 소실점
• Autrice : Kim Hee-jai
• Genre : polar
• Parution : 2017 (Corée du Sud)
• Version française : Editions du Matin Calme, 2021
• Traducteurs : Isabelle Ribadeau-Dumas, Lee Hyon-hee
• Nombre de pages : 215
Point de fuite est un roman paru aux éditions du Matin Calme, maison d’édition dont je suis en train de poncer, comme on dit, les ouvrages. (Alors pour les lecteurs ou lectrices qui ne le sauraient pas, je pense notamment à mes parents chéris qui représentent à eux deux 75% du lectorat de ce site ❤️, dans ce contexte, poncer signifie étudier, exploiter à fond).
De l’autrice, Kim Hee-jai, je n’ai trouvé que peu de choses. Elle est née en 1969 en Corée du Sud, elle a écrit pour le cinéma et la télévision, et voilà, on a fait le tour des informations.
Alors, Point de fuite, de quoi ça cause, me demanderez-vous.
Oui, on te le demande : de quoi ça cause ?
Les premières pages sont assez choquantes à vrai dire. Il y est question d’une femme nue qui tombe au sol, et manifestement agonise. Un homme s’approche, et je vais citer le livre, ça m’évitera de chercher des paraphrases maladroites et gênantes (mes parents lisent ceci, je le rappelle) : « Puis il chevaucha la femme, toujours en proie à des convulsions. Elle n’eut aucune réaction, ne dit rien : elle en était manifestement incapable. L’homme fit l’amour sur elle, rapidement ». (note à moi-même : c’est quand même gênant).
Voilà voilà. Donc ça, c’est le prologue, et comment vous dire, après l’avoir lu, je me suis quand même demandé dans quoi j’allais me lancer. J’ai jeté un œil à la quatrième de couverture, parce que j’avoue que j’avais raflé ce qui était disponible en littérature coréenne à la bibliothèque sans vraiment prendre le temps de me renseigner sur le contenu, et effectivement, il est mentionné « partenaire sexuel » et « nous pratiquions le SM ». Bon, le contexte était posé, mea culpa. Enfin, il est indiqué « SM » et pas nécrophilie quand même hein !
Le reste est-il à l’avenant ? Oui, et non. Rapidement, puisque ce prologue choc est court, nous suivons une procureure, Kang Ju-hee. On découvre son contexte familial : elle est mariée, a deux filles, mais son mari et ses enfants sont tous les trois en Angleterre. Lui pour poursuivre ses études, elles pour y suivre leur scolarité. Notre procureure est donc une femme mariée vivant seule à Séoul. Elle réussit dans l’exercice de son métier, et jouit d’une belle réputation. Terre-à-terre et consciencieuse, c’est à elle que sera confiée la résolution de l’affaire de notre cadavre du prologue. Car il s’agit d’une affaire d’envergure : la morte est Choi Sun-woo, une présentatrice vedette de la télévision, connue pour son élégance, son intelligence et son éloquence, le « modèle à suivre » pour les étudiantes de Corée. Mariée à un diplomate appartenant à une famille riche et puissante, sa mort est un énorme scoop. D’autant que son corps a été retrouvé dans l’atelier d’un peintre, véritable célébrité lui aussi. Seo In-ha est un artiste prometteur, sorti d’une université réputée, et est professeur dans un collège. Talentueux et bien fait de sa personne, il a même un fan-club. Mais fan-club ou pas, Choi Sun-woo a été retrouvée chez lui, nue et morte, et d’après les analyses, on a retrouvé son ADN sur le cadavre… Il est donc arrêté, et c’est à notre procureure que va être confiée la tâche délicate de l’interroger, mais surtout, de le faire avouer.
Contre toute attente, Seo In-ha clame ses liens avec la victime. Oui, ils étaient amants, oui, ils pratiquaient le sado-masochisme, oui, il est le seul à connaître la « vraie » Sun-woo, et oui, cette femme et épouse si parfaite avait des pulsions animales proches de la folie, mais non, il ne l’a pas tuée. Kang Ju-hee est perplexe. La Choi Sun-woo décrite par Seo In-ha lui semble aux antipodes de l’image qu’elle a de la présentatrice impeccable, dont pas un cheveu ne rebiquait. Sa perplexité augmente d’un cran quand Park Moo-hyun, l’époux désormais veuf de Choi Sun-woo entre dans l’équation. Amoureux de sa femme, désespéré par sa perte, il entend préserver son image, et ouvre à la procureure leur intimité. Livres de poésie, littérature classique, meubles confortables et de bon goût, dressing impeccable, l’intérieur de leur maison reflète ce que Choi Sun-woo renvoyait : « la perfection faite femme ».
Alors qui croire ? Kang Ju-hee devra mener une enquête minutieuse pour démêler les fils de cet écheveau, enquête qui, au-delà de découvrir la vérité sur la mort de Choi Sun-woo, la conduira à s’interroger sur ses propres a priori, et sur la variété de facettes que peut comporter une personnalité. Est-ce qu’un coupable est coupable parce qu’il l’est, ou parce que tout converge pour qu’il le semble ? Et à l’inverse, est-ce qu’une victime est victime parce qu’elle l’est, ou parce que rien ne vient le contredire ?
C’est une bonne question, ça !
Oui, et c’est d’ailleurs ce qui fait, pour moi, l’intérêt du livre. Au-delà de l’enquête – parce que maintenant, des enquêtes, on en a lu un paquet – ce qui retient mon attention, c’est la quête de vérité de Kang Ju-hee. Essayant toujours de rester intègre, et donc, d’une certaine neutralité, elle va petit à petit être amenée à remettre en doute ses propres convictions.
« Le principe à respecter pour ceux qui travaillent dans le domaine judiciaire est la présomption d’innocence. Il ne faut pas traiter le suspect en criminel avant que son crime soit avéré. Tel est le principe humaniste français. Cependant, pour les policiers et les enquêteurs qui font surtout face à des criminels, il est quasiment impossible à respecter. Que ce soit dans l’urgence ou non, quand il faut faire avouer un suspect, on l’interroge comme s’il était le criminel. Et les preuves qu’on rassemble ne sont pas considérées en elles-mêmes, mais par rapport au crime. »
En faisant de la procureure une femme à la tête froide et au professionnalisme indiscutable, Kim Hee-jai, l’autrice, s’amuse à la – et donc, à nous – promener entre la vérité et le doute. Les preuves qui accablent le peintre sont-elles réelles ? Est-ce que Choi Sun-woo, à l’apparence si lisse, l’est vraiment ? Est-ce même possible d’avoir une image si parfaite, et être pourtant si déchaînée (hum hum je paraphrase) dans l’intimité ? L’écart est-il concevable ? Jusqu’où un être humain pourrait-il aller pour conserver cette image de perfection ? Jusqu’à la mort ? Le va-et-vient entre l’interrogatoire du peintre, les découvertes de Kang Ju-hee, ses réflexions et ses conclusions permet d’entretenir un suspense qui n’interroge pas que le personnage de roman, et j’avoue que l’histoire m’a tenue en haleine jusqu’à l’épilogue.
Alors on lit ou pas ?
Si vous n’êtes pas trop blasés des enquêtes policières, oui. J’ai vraiment trouvé intéressant ce questionnement sur les apparences, et j’ai trouvé le thème bien exploité, que ce soit au travers du prisme de la procureure, de celui de la victime, Choi Sun-woo, ou du présumé meurtrier, Seo In-ha. J’ai aussi aimé le personnage principal. Kang Jun-hee est indépendante, efficace, elle entretient de bons rapports avec ses collègues, son époux, elle est franche, et dit les choses comme elles sont, sans être ni vulgaire, ni égoïste. Elle se dédie avec succès à son travail et est reconnue par ses pairs pour ça. Un personnage féminin qui ne s’occupe ni de son mari, ni de ses enfants, sans être séparée ou divorcée, et sans essuyer de reproche à ce sujet, c’est assez agréable. Aucune histoire personnelle compliquée en ce qui la concerne, tout va bien, ce qui intéresse chez elle, c’est sa capacité à faire du bon boulot, et pas ses passions, son apparence, ou encore sa vie amoureuse.
En ce qui concerne l’écriture, on est sur quelque chose de simple à lire, assez vivant, avec des chapitres courts qui ajoutent au dynamisme. En ce qui concerne l’enquête elle-même, pour les lecteurs de polars chevronnés, peut-être qu’elle ne semblera pas très originale. D’ailleurs, elle ne l’est pas vraiment, malgré les découvertes et twists qui ponctuent l’histoire. Mais comme souvent, l’enquête n’est que prétexte, et ce qui est intéressant se cache derrière. Oh mon dieu ! Derrière les apparences, vous voulez dire Quoi Corée ?! Hum hum, peut-être bien… héhé


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