Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant, de Jung Jae-han

Couverture du polar Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant

Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 미남당 사건수첩
Autrice : Jung Jae-han
Genre : policier, thriller
Parution : 2018 (Corée du Sud)
Version française : Editions du Matin Calme, 2020 / Points, 2022
Traducteurs : Han Yumi, Hervé Péjaudier
Nombre de pages : 326

Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant a été écrit par Jung Jae-han, une autrice qui s’est fait connaître grâce à la publication de ses textes sur internet. Mais commençons par le commencement.

De quoi il cause, ce livre au titre à rallonge ?

Excellente question, cher lecteur, chère lectrice. Je vais tâcher d’y répondre.

Nam Han-jun, autoproclamé « beau gosse » est un chamane populaire du quartier Yeonnam, à Séoul. Amateur de belles choses, il est toujours habillé avec soin et élégance, et donnerait son âme pour un costume bien coupé. Sa popularité se base sur la justesse de ses prédictions et la force de ses sortilèges, et c’est vrai qu’il fait toujours mouche, ce chamane, ses pouvoirs seraient-ils réellement si étendus ? Eh bien oui, d’une certaine manière, mais d’une façon bien prosaïque : Han-jun sait surtout bien s’entourer. Pour commencer, Hye-jun, sa petite soeur, est un véritable génie de l’informatique. Recrutée par le FBI quelques années auparavant, elle y a brillé avant d’en partir, blasée par le manque de challenge, et aussi parce qu’elle avait créé un groupe de joueurs en ligne auprès des employés de l’agence, elle-même étant joueuse de haut niveau, ce qui n’a pas vraiment plu à ses supérieurs. Eh oui, les employés étaient tous en train de jouer au lieu de sauver le monde, ça le faisait moyen. Revenue à Séoul, elle a donc travaillé pour son grand frère et son « Sanctuaire du Beau Gosse ». Après le cerveau, les biscotos, et pour ça, Han-jun peut compter sur Su-cheol, son partenaire. C’est aussi lui qui mène les enquêtes pour grapiller un max d’informations sur les clients d’Han-jun, et lui assurer ses fameuses « prédictions » si détaillées. Car oui, vous l’aurez compris, Han-jun est autant chamane que vous et moi, il a surtout un sens aigu de la déduction, tout un réseau d’enquêteurs à son service, et une sœur capable de hacker le moindre ordinateur ou téléphone portable. Pratique.

Mais Han-jun rêve de grandeur, et lorsque le fils d’un grand patron sud-coréen l’appelle à l’aide, l’appât du gain est le plus fort. Pourtant, l’affaire semble complexe, et pourrait même se révéler dangereuse pour notre pseudo-chamane. En effet, on ne s’attaque pas impunément à l’un des plus grands chefs d’entreprise de Corée. En attendant, ce fils malheureux, pourtant à la tête d’une filiale de l’entreprise de son père, voit tous ses projets échouer lamentablement les uns après les autres au profit d’un étrange personnage, un monstre de deux mètres de haut, placé là par son père et qui semble avoir toute sa confiance. Et il court le bruit, dans les couloirs, que le papa PDG se ferait conseiller par une mystérieuse et habile chamane qui lui indiquerait la moindre de ses décisions et lui serait indispensable. Voilà qui irrite notre Han-jun, qui se verrait bien, lui, dans le rôle du chamane qui murmure à l’oreille des puissants…

En parallèle, dans un poste de police au luxe inexistant de Séoul, une policière répondant au doux surnom de Han Fantômette (Han Gwi dans le texte original, « le gwisin étant un esprit effrayant, apparenté à un fantôme », nous précisent les traducteurs) enquête sur la disparition d’une jeune fille. Pourquoi ce surnom me demanderez-vous ? Eh bien parce que notre policière, experte en arts martiaux, possède la capacité d’être extrêmement discrète dans ses déplacements, et qu’en plus, elle peut grimper, escalader, sauter d’un immeuble à l’autre avec beaucoup de facilité, et donc, sans un bruit. Pratique.

Cette disparition, ça l’inquiète drôlement notre policière. Mais tant qu’un certain laps de temps ne s’est pas écoulé, ça n’est pas une disparition, mais une fugue, alors rien à faire. Surtout qu’elle est appelée ailleurs : un individu a été aperçu dans la rue, porteur d’une arme ! Elle fonce sur les lieux avec son coéquipier, et y découvre Han-jun et Su-cheol, venus, eux, pour accomplir un rite. Comment sont-ils arrivés là, me direz-vous ? Tout simplement : une des clientes de Han-jun disait entendre des bruits dans sa maison, et était persuadée qu’il s’agissait d’un fantôme. Professionnel avant tout, mais surtout déterminé à lui vendre un rituel très très cher, Han-jun, accompagné de Su-cheol, s’est rendu chez elle. Et tandis qu’Han-jun examinait les alentours, Su-cheol a repéré un drôle de gars à côté de la maison, qui sentait les égouts, et semblait aux aguets. Il l’a poursuivi, l’a attrapé, or patatras, dans l’action, sa réplique d’arme plus vraie que nature, dont il est particulièrement fier et qu’il a toujours passée dans sa ceinture, est tombée et une passante l’a vue. Paniquée, elle a appelé la police, et c’est comme ça que Su-cheol s’est retrouvé par terre, les bras dans le dos, maîtrisé. Le chamane arrive à la rescousse, et en recroisant ses propres observations à l’interrogatoire du gars malodorant, il en déduit que celui-ci a un complice, probablement caché dans le conduit de canalisation. Su-cheol et Han Fantômette se dévouent pour descendre (malgré tout son courage, Han-jun ne pouvait malheureusement pas les accompagner, son costume coûteux s’accommodant mal d’une traversée des égouts). Ils découvrent le complice, effectivement, mais surtout, un cadavre.

Police et chamane mèneront donc l’enquête chacun de leurs côtés, avançant en parallèle, et mettront au jour une vaste affaire de corruption, sur fond de prédictions chamaniques biaisées, de politiques véreux et de prostitution.

Oh. Et c’était bien ?

Oui ! Au-delà de l’histoire, qui est une histoire d’enquête, intéressante mais pas non plus d’une originalité fracassante, ce qui est vraiment chouette dans ce roman, c’est le ton !

L’autrice a pris des libertés d’écriture, elle s’adresse parfois au lecteur, elle joue avec les notes de bas de page, et s’amuse de ses personnages hyper archétypaux ! Je ne m’attendais pas du tout à ça, à vrai dire le titre me semblait un peu tortueux, mais j’ai été très agréablement surprise. Je me suis beaucoup amusée à lire ce roman, il est très graphique, très visuel, avec ses onomatopées et son quasi-découpage de scénario de film, on les voit, les persos, on les voit, les scènes. On rit de notre personnage principal, si imbu de lui-même, on aime le voir se prendre des claques et souffrir de voir une tâche sur son complet en lin. Les psychologies sont faciles à saisir, puisque le rôle de chacun est clairement défini, il ne reste donc plus qu’à savourer les situations mettant en relation ces personnages très différents, très extrêmes, et voir comment ils vont s’en sortir.

J’en profite pour saluer la qualité de la traduction. Alors évidemment, je ne sais pas à quoi ressemble le texte original, mais j’ai beaucoup apprécié le vocabulaire employé dans la version française, que j’ai trouvé vraiment fin. Les traducteurs ont aussi pris la peine d’expliciter, dans des notes de bas de page concises, des détails du roman, comme les conversions won-euros pour donner des ordres d’idée de prix (et oui, les sortilèges de Hanjun se vendent très très chers), la géographie, certains éléments de traditions sud-coréennes, des paroles de chansons citées dans le roman… Le duo de traducteurs Han Yumi et Hervé Péjaudier, n’en est pas à son coup d’essai. Ils ont traduit « Lapin Maudit » de Bora Chung, ainsi que quantité d’autres romans et contes coréens. Ils ont même été récompensé en 2000 par le Prix culturel France-Corée pour leur contribution à la découverte en France du théâtre coréen. Des pointures de la trad, donc.

Et maintenant, une page d’informations

(musique du générique) Tutuuu QuoiCorée Infoooos

Comme je sais votre soif d’apprendre insatiable, je me suis dit qu’on allait parler rapidement du chamanisme en Corée du Sud.

Plus fréquemment pratiqué par les femmes, nommées « mudang », le chamanisme est une forme de croyance très ancienne en Corée (il semble déjà présent à la préhistoire, et les plus anciennes chroniques de Corée du XIIème et XIIIème siècle l’évoquent), le chamanisme a connu une baisse d’influence avec l’arrivée du bouddhisme puis du confucianisme, et était assimilé à des pratiques magiques et des superstitions. Pendant l’occupation japonaise, le chamanisme est réprimé, avant de connaître un regain d’intérêt à la fin de la guerre, et auprès des jeunes générations nées après 1970. On estime que 16% de la population pratique le chamanisme. L’une des pratiques les plus connues (elle est d’ailleurs mentionnée dans L’île des chamanes de Kim Jay) est la cérémonie du Gut, une danse chamanique pratiquée par une mudang en transe qui permet d’entrer en contact avec les esprits, et de connaître l’avenir.

Aujourd’hui, et malgré la modernisation à vitesse grand V du pays, le chamanisme est toujours bien présent. Les bâtiments nouvellement construits, les inaugurations d’entreprises s’accompagnent d’un rituel chamanique destiné à s’attirer la bienveillance des esprits du lieu. Les chamanes sont environ 50 000 en Corée du Sud, et officient dans des maisons de voyance ou même dans la rue, pour répondre à toutes vos questions sur votre carrière, vos projets de mariage, ou encore vos réussites aux examens.

Crédit : EPA

Pour en revenir à notre roman, l’intrigue principale a apparemment été tirée d’un scandale datant de 2016 : le Choigate. La présidente d’alors, Park Geun-hye (au passage fille du dictateur militaire Park Chung-hee dirigeant la Corée du Sud de 1962 à 1979, mort assassiné par le chef de la KCIA – il y a un film à ce sujet : The President’s Last Bang, je l’ai vu il y a deux jours donc c’est pour ça que je ramène ma fraise), Park Geun-hye donc, avait une amie et confidente, Choi, qui était, elle, la fille d’un chamane, et qui avait à priori hérité des dons de son père. Les médias ont rapporté que Choi, sans avoir de place dans le gouvernement, avait eu accès à des documents confidentiels, aurait usé de son influence pour extorquer de grosses sommes d’argent, pour nommer les personnes de son choix à des postes au gouvernement, et pour dicter à la présidente ses décisions. Au final, elle a été mise en examen pour des pot-de-vin, pour abus de pouvoir illégal et pour la fuite de documents classifiés. Après ces révélations, des millions de Coréens ont manifesté pour demander la destitution de la présidente, qui a reconnu les liens qu’elle entretenait avec Choi. Elle sera finalement destituée en décembre 2016. Après de longs procès, l’ancienne présidente Park sera condamnée à 24 ans de prison pour corruption et abus de pouvoir, et Choi à 20. Mais elle n’y restera que quelques jours, étant ensuite graciée pour des raisons humanitaires par le président suivant, Moon Jae-in. Park, quant à elle, sera graciée en 2021 dans « une perspective d’unité nationale » et en raison de son état de santé.

Plus récemment, l’ancien président Yoon Suk-yeol, (oui, celui qui a été arrêté et destitué en 2025 après son coup d’état manqué) avait un symbole signifiant « roi » inscrit dans la paume de sa main gauche, lors d’un débat télévisé avant les élections.

Ce symbole chamanique a suscité la controverse, et les suspicions quant à un éventuel lien avec un rituel chamanique pour rester en tête de la course à la présidence. Mais Yoon a nié, disant que c’était un de ses supporters qui lui avait écrit ce symbole pour lui souhaiter bonne chance.

Après son mandat, l’ »Affaire du chamane Geon-jin » a éclaté, du nom d’un chamane soupçonné d’avoir remis des pots-de-vin à Yoon Suk-yeol et à son épouse pour demander la nomination de plusieurs personnes de son entourage à des postes de la fonction publique. Une enquête pour corruption est encore en cours.

Et c’est la fin de cette page d’informations

Reconnaissez que c’est fascinant, non ? Imaginer des chamanes aussi puissants en 2025, dans un pays aussi développé et connecté que la Corée du Sud, ça me semble complétement antinomique ! Et pourtant, elles (et quelques ils) sont toujours là !

Oui, c’est vrai QuoiCorée, c’est fou ! Et pour en revenir au livre, on lit ou pas ?

Oui, sans hésitation. Le genre change un peu par rapport aux polars plus classiques, et je comprends que ça puisse en rebuter certains. L’autrice a publié ses écrits en feuilleton sur le web, si j’ai bien compris, et c’est vrai que c’est une écriture très actuelle (contrebalancée, de mon point de vue, par la traduction qui utilise des mots précis et peu usités, comme « phosphorer », ou encore « ingambe », qui sont des mots que l’on n’a pas vraiment l’habitude de lire dans un polar, ou du moins, que je n’ai pas vraiment l’habitude de lire dans un polar). Dès que j’ai compris comment l’écriture fonctionnait, j’ai tout de suite pensé que ce roman était calibré pour une adaptation audiovisuelle. Il a d’ailleurs été adapté en drama en 2022, sous le titre « Café Minamdang« .

Je ne l’ai pas vu, donc je ne sais pas ce que ça vaut, mais il a l’air de reprendre les personnages de base, à savoir un chamane prétentieux, sa soeur, son collègue, et une policière casse-cou et intrépide. Apparemment, le chamane tient un café et résout les problèmes de ses clients. Voilà, je n’en sais pas plus.

A noter que le titre original du roman se traduit en anglais par « The Minamdang Case note », et minamdang serait une contraction de « minam » (bel homme) et « mudang » (chamane), d’où le nom du roman et du drama, et la traduction française de « beau gosse nécromant ».

Au final, une lecture plaisir et divertissante, avec en fond, des problèmes qui reviennent souvent : corruption, harcèlement scolaire, compétition, ou encore prostitution. Pas évident de faire sourire avec ces thématiques qui jalonnent le roman, et pourtant, j’ai souri à de nombreuses reprises lors de ma lecture, tant l’écriture est enlevée (vous pouvez lire quelques pages ici). La fin du roman laisse espérer une suite aux aventures de notre « minamdang », je le souhaite ardemment tant j’aurais plaisir à retrouver ces personnages, mais peut-être faudrait-il consulter une mudang pour en avoir le cœur net !

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