Jetaime_Riah, de Park Seo-lyeon

Jetaime_Riah ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 마르타의 일
Autrice : Park Seo-Lyeon
Genre : thriller
Parution : 2019 (Corée du Sud)
Version française : Editions du Matin Calme, 2021
Traducteurs : Delphine Bourgoin et Kyungran Choi
Nombre de pages : 224

J’ai trouvé peu d’informations sur l’autrice, Park Seo-lyeon. Je sais juste qu’elle est née en 1989, qu’elle a débuté en 2015 par l’écriture d’une nouvelle (trajectoire qui semble classique pour les auteurs sud-coréens) et qu’elle a reçu des prix littéraires. Les sujets de ses œuvres sont les « personnes défavorisées, telles que les femmes, les personnes âgées et les minorités sexuelles, qui sont exclues et dissimulées de la société ». Elle a une dizaine d’ouvrages à son actif, mais j’ai l’impression que peu ont été traduits pour l’instant.

En parlant de traduction, petit détail qui a attiré mon attention : Jetaime_Riah a été traduit par un duo de traducteurs, Delphine Bourgoin et Kyungran Choi, cette dernière étant l’une des traductrices de La Ronde de Nuit, de Bora Chung, et de Kim Jiyoung, née en 1982, de Cho Nam-joo. Une traductrice chevronnée donc, et un gage de qualité.

Pourquoi ai-je emprunté ce livre à la bibliothèque ? Eh bien tout simplement parce qu’en lisant le résumé de la quatrième de couverture, j’ai compris que la fameuse Riah du titre était une célébrité des réseaux sociaux qui s’était suicidée. Et à vrai dire, ça a éveillé ma curiosité car je suis assez effarée par le nombre de célébrités sud-coréennes qui se suicident (j’ai revu Parasite récemment, et je n’ai pu m’empêcher de penser au comédien Lee Sun-kyun qui s’est suicidé en 2023). Et à ce propos…

On va vraiment parler suicide là ?

Oui, mais pas longtemps, promis.
Je ne sais pas si, comme moi, vous avez l’impression que beaucoup de nouvelles en provenance de la Corée du Sud relatent des avis de décès de stars sud-coréennes. J’avoue que ça me surprend toujours, puisque le pays, vu de loin, semble radieux comme un drama. Bon, il y a eu les troubles politiques de la fin d’année 2024, avec la tentative de proclamation de la loi martiale par le président alors en exercice, Yoon Suk-yeol, puis sa destitution, son arrestation et sa mise en examen début 2025. Là, j’ai compris que c’était moins rose qu’il n’y paraissait. Mes lectures aussi m’ont éclairées, que ce soit sur l’histoire politique de la Corée du Sud (je pense à Monsieur Han par exemple), sur les inégalités encore très présentes (la lecture de Kim Jiyoung, née en 1982, et la rencontre avec Bora Chung ont été de précieuses sources), ou encore sur le « nation branding » (grâce à K-Pop, Soft power et culture globale notamment) qui expliquait en partie pourquoi j’avais cette image si lisse de la Corée du Sud. J’ai donc compris petit à petit quelque chose d’évident, que ce pays était comme n’importe quel pays : complexe. Ceci étant posé, j’ai été intriguée par le nombre d’articles ou de nouvelles relatant le suicide de telle ou telle star, avec en point d’orgue le conflit opposant la famille de Kim Sae-ron (actrice qui s’est suicidée à 24 ans en février 2025) à Kim Soo-hyun (acteur superstar accusé d’être l’une des causes du suicide de Kim Sae-ron, et d’avoir entretenu une relation avec elle alors qu’elle était mineure), opposant également les internautes prenant partie pour l’un ou l’autre des camps. Ce que j’ai trouvé surprenant aussi, c’est que dans bon nombre de commentaires sur les réseaux sociaux à propos de cette affaire, les internautes appelaient à arrêter de critiquer Kim Soo-hyun, de peur qu’il ne se suicide aussi. Je n’ai pas d’avis sur cette affaire, je ne suis pas juge, ni avocate. Beaucoup d’articles, trop peut-être, en parlent, et je considère que la justice travaille à établir la vérité dans ce sac de nœuds, et que c’est son boulot. En parallèle, il y a eu cet appel du réalisateur Bong Joon-ho, début 2024, suite au suicide de Lee Sun-kyun, son acteur dans Parasite, dont je parlais plus haut. En effet, l’enquête sur Lee, qui était suspecté de consommation de drogues, a été largement relayée dans les médias, ce qui pourrait avoir contribué à la décision de l’acteur de mettre fin à ses jours. Bong Joon-ho, ainsi qu’un collectif d’artistes, réclamait qu’une investigation soit ouverte sur les méthodes de la police, et sur d’éventuelles fuites d’informations auprès des médias.

Bon, tout ça pour dire que le pays du Matin Calme ne l’est pas tant que ça. Histoire de voir si ça n’était qu’une impression, je me suis tournée vers une valeur sûre : les chiffres ! Et en effet, la Corée du Sud arrive sur le podium des taux de suicide en 2021, avec une troisième place mondiale. Et la page Wikipédia dédiée relaie cette information peu réjouissante : « En 2022, le suicide a causé plus de la moitié de tous les décès des Sud-Coréens dans la vingtaine. C’est la principale cause de décès pour les personnes âgées de 10 à 39 ans. » Ça n’était donc pas qu’une impression.

Oh… Et le livre parle de ça ?

Pas du tout. C’est ce que je pensais, mais en fait non, puisque (attention, coup de théâtre !) Riah ne s’est pas suicidée.

Effectivement. Il parle de quoi alors ?

Jetaime_Riah raconte l’histoire de Soua, qui est la grande soeur de Riah (Riah n’est pas son prénom de naissance, elle s’appelait Gyeonga, mais a décidé de changer de prénom). Elles sont très différentes : Riah est belle, douce, sensible, très populaire sur les réseaux sociaux, Soua est terre-à-terre, studieuse et un peu brute de décoffrage. Lorsque le roman commence, Soua vient d’apprendre que sa petite sœur est à l’hôpital. Et lorsqu’elle y arrive avec ses parents, trop tard, Riah vient de succomber. La police conclut à un suicide mais Soua n’est pas convaincue par cette hypothèse. D’après elle, sa sœur n’aurait eu aucune envie de mettre fin à ses jours. Un message reçu d’un mystérieux inconnu la conforte dans son opinion. Lui qui était proche de Riah, il a assisté de loin à la terrible scène et confirme : ça n’était pas un suicide, mais un meurtre. Soua et cet inconnu s’allieront pour recouper les événements et reconstituer les derniers instants de Riah. Fine stratège, Soua mettra soigneusement au point une vengeance, tout en réalisant à quel point les liens qui l’unissaient à sa sœur étaient forts.

Ah, un vrai résumé pour une fois héhé

Oui, bon, c’est vrai que je ne suis pas la reine des textes synthétiques normalement, mais là l’histoire n’est pas très compliquée. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’elle est creuse, et il y a plusieurs points que j’ai trouvé intéressants.

Les réseaux sociaux

Le premier, et le plus évident, c’est l’utilisation des réseaux sociaux. Riah est une star des réseaux, elle a beaucoup de followers, est très photogénique, et fait beaucoup de bénévolat. Soua n’est pas du tout impliquée sur les réseaux sociaux, et découvre tout un monde qu’elle ne connaissait pas. J’ai aimé ses réflexions parfois amères sur l’utilisation des réseaux, en particulier lorsque l’annonce de la mort de Riah est rendue publique :

Ce n’est pas tant l’émotion de voir autant de gens pleurer la mort de ma sœur qui me bouleverse que la pensée, sans doute un peu tordue, que tous en profitent pour rivaliser d’originalité et se mettre en avant. […] Dans sa boîte, les messages privés affluent en masse. Qu’ont-ils donc tous à écrire à quelqu’un dont on vient d’annoncer la mort et qu’ils ne connaissaient pas personnellement ? Un grand nombre d’entre eux ont même fait une capture d’écran de leur message qu’ils ont ensuite publiée en signe d’hommage sous le hashtag #jetaime_Riah. Finalement, nombreux sont ceux – pour ne pas dire tous – qui profitent de Gyeonga pour s’exhiber.

On retrouve ici une critique souvent soulevée à propos des réseaux sociaux, dont les utilisateurs peuvent parfois manquer de retenue, ou utiliser à leur profit des événements marquants dans le but d’accroître leur popularité (j’ai trouvé le terme « griefsploitation », ou l’exploitation du chagrin, dans un article du Guardian, et je le trouve plutôt approprié).

On voit aussi Soua lire des commentaires sous les articles évoquant la mort de sa sœur, et ils peuvent être sympathiques ou carrément injurieux. Évidemment, ça la touche profondément. C’est un aspect, heureusement, de plus en plus évoqué : l’impact des messages ou commentaires insultants, laissés souvent de manière anonyme. J’ai trouvé intéressant d’avoir ce point de vue de « l’autre côté » de l’écran. On parle souvent de la sensation de totale impunité lorsqu’on écrit des injures dans l’anonymat de son pseudo, mais il est toujours bon de rappeler qu’une personne lira ce qui a été écrit et que cela aura forcément des conséquences. Comme le dit François Jost, auteur de « La méchanceté en actes à l’ère numérique » dans une interview : « La méchanceté est vieille comme le monde mais le numérique exacerbe, en effet, des comportements qui la favorisent : on se donne en spectacle avec les selfies, les comptes Facebook ou autres, on se juge les uns les autres, on se note même, sans arrêt, tout en se cachant derrière l’anonymat. »

D’ailleurs, Riah sera aussi victime de ce dénigrement de son vivant. Très impliquée dans le bénévolat, elle avait effectué plusieurs missions avec des entreprises partenaires, comme distribuer du matériel de secours portant le logo d’une marque à une zone sinistrée, donner du matériel à des associations pour personnes en situation de handicap, etc… Jusqu’à ce que des commentaires malveillants sur le net émergent, disant qu’elle était parachutée dans ces équipes parce qu’elle entretenait des relations avec le chef de projet (j’édulcore les tournures de phrase hein). Les commentaires prenant plus d’ampleur, et devenant ingérables, elle sera effectivement évincée de ces missions, et finalement, plus sollicitée du tout.

Il y a d’ailleurs une réflexion (rapide) sur ce qu’on appelle la « rançon de la gloire », qui est appelée dans le roman (du moins dans sa traduction) le « prix de la célébrité ». Un des personnages déclare « on n’est pas forcément responsable des histoires qui courent sur nous ». Ce qui pousse Soua à réfléchir à la manière dont sa sœur a « payé » sa popularité.

Les pilules

Un autre point qui a attiré mon attention (mais attention, je vais vous spoiler un peu), c’est une toute petite mention, au détour d’un paragraphe, de l’avortement, ou plus précisément, des revendeurs sur internet de pilules pour avorter. En fait, cela m’a fait penser à l’entretien avec Bora Chung, car elle en parle, elle aussi. Dans le livre, il est indiqué que Riah était en possession de pilules pour avorter, interdites en Corée. On apprend ensuite qu’elle les avait probablement reçues d’une ONG qui aide les femmes à obtenir un avortement médicamenteux dans les pays où c’est interdit. Et que c’était fiable, contrairement aux produits des revendeurs sur internet, sorte de marché parallèle, qui prétendent vendre ces mêmes pilules. Or aucun contrôle n’est effectué puisque c’est interdit, donc elles peuvent bien contenir tout et n’importe quoi. Bora Chung disait lors de l’entretien : « ça peut être des vitamines, mais ça peut être aussi de la mort-aux-rats, qui sait ? ». Un autre rappel que la situation des femmes n’est pas la même en Corée du Sud, et qu’il y a encore là-bas des enjeux concernant les grossesses qui nous semblent à nous, Françaises, presque archaïques (merci Simone Veil).

L’orientation amoureuse

C’est la première fois (je vais encore vous spoiler un peu, décidément) que je rencontre une héroïne lesbienne ! Je n’ai pas croisé beaucoup de personnages queer, que ce soit dans mes lectures, ou dans les dramas (il me semble me souvenir d’une micro scène dans un drama où on devinait qu’un garçon était amoureux d’un autre garçon, mais impossible de remettre de nom dessus, et je crois qu’ils mourraient tous les deux dans un accident de voiture assez rapidement. Si ça dit quelque chose à quelqu’un, éclairez-moi par pitié, parce que là, je n’arrive plus du tout à resituer cette scène !). Dans l’article sur La Ronde de Nuit, dont l’une des nouvelles contient un personnage gay, je vous disais que, d’après la page Wikipédia sur les droits LGBTQ en Corée du Sud, l’homosexualité restait un sujet tabou là-bas. La page sur le suicide en Corée du Sud, évoquée plus haut, a un paragraphe intitulé « Bullying of LGBT youth » (intimidation des jeunes LGBT) dans la section sur les possibles causes de suicides. Cela explique peut-être pourquoi il est rare, du moins, dans les œuvres auxquelles j’ai accès, de voir des personnages principaux queer.

Marthe et la Bible

Le livre commence par un passage de la Bible en épigraphe (oui, j’ai fait une recherche pour trouver ce mot. Sachez que c’est un mot féminin, une épigraphe. Voilà, vous allez pouvoir briller en société) :

Le Seigneur lui répondit :
« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire.
Marie a choisi la meilleure part,
qui ne lui sera pas enlevée.

Luc (10, 38-42)

Soua, notre héroïne, n’est pas vraiment croyante, mais allait à l’église, petite, pour faire plaisir à sa mère. Moi, je ne connais rien à la Bible, et c’était un peu obscur, cette histoire de Marthe, je ne comprenais pas bien ce que ça venait apporter en tête du roman. Heureusement, c’est explicité plus tard. Marie et Marthe sont sœurs (Marthe étant la sœur aînée). Et un jour où Jésus prêchait devant ses disciples, Marie était assise à l’écouter tandis que Marthe se démenait et préparait le repas pour tout le monde. Marthe demanda à Marie de venir l’aider, et Jésus répondit à Marthe le passage cité en épigraphe (nom féminin). Et Soua de conclure : « C’est toujours la même histoire. Que ce soient les sœurs de Cendrillon, celle de la Belle dans la Belle et la Bête ou celle de Marie, ce sont toujours elles les méchantes. Une femme sage, jolie et gentille a une sœur faible, paresseuse et jalouse. Du moins, c’est ce que l’on raconte. » Comme une sorte de fatalité, elle se voit en « Marthe », la rabat-joie qui se fait sermonner par Jésus, la sœur « moins bien ». En discutant de ce passage de la Bible avec le mystérieux homme qui deviendra son allié, elle révisera son jugement. En effet, l’histoire de Marthe et Marie est racontée au travers du prisme d’une tierce personne (en l’occurrence, Luc), mais de nombreux autres passages de la Bible prouvent que Jésus considérait autant Marthe que Marie, qu’elles avaient autant de valeur l’une que l’autre. C’est donc uniquement dans le récit qu’en fait Luc qu’elles sont rivales, ou mises en concurrence. Encore une fois, « on n’est pas forcément responsable des histoires qui courent sur nous ».

On lit ou pas ?

Je dirais que oui. Moi, j’aime bien les histoires de vengeance, et celle-ci est plutôt bien ficelée, même si les ficelles ne sont pas toujours très discrètes. L’écriture est plaisante et dynamique. J’ai bien aimé le personnage de Soua. Elle est super terre-à-terre, son credo est de connaître ses limites et de ne faire que ce dont elle est capable. Donc si elle se lance dans quelque chose, c’est parce qu’elle sait qu’elle est en capacité de le faire. J’ai bien aimé cette personnalité rationnelle, qui défend qu’il est préférable de se connaître soi et ses limites, plutôt que toujours tenter de les dépasser, quitte à se sur-estimer et échouer. La relation entre les deux sœurs, qui se dévoile au fur et à mesure du livre, est assez touchante, pas idéalisée, ni noircie à outrance. On passe un bon moment, peut-être pas mémorable, mais suffisamment intéressant pour avoir envie de mener la lecture au bout, et qui plaira aux amateurs de polars cherchant un ouvrage qui fait écho à des problématiques contemporaines.

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