La ronde de nuit, Bora Chung

La Ronde de Nuit ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 한밤의 시간표
Autrice : Bora Chung
Genre : nouvelles fantastiques
Parution : 2023 (Corée du Sud)
Version française : Rivages, 2025
Traducteurs : Kyungran Choi, Pierre Bisiou
Nombre de pages : 176

Voici le deuxième recueil de nouvelles de Bora Chung traduit en français, et publié aux Editions Rivages en 2025. Comme pour le précédent recueil, Lapin Maudit, je l’ai lu un peu en urgence car Bora Chung était de passage à Lyon dans le cadre du Litterature Live Festival 2025, et je ne voulais pas être complètement larguée pendant sa conférence. Il était de toute façon dans ma liste de lecture, donc l’occasion a fait la larronne.

La Ronde de Nuit est plus court que Lapin Maudit, il compte sept nouvelles, et je vous le dis tout de suite, je l’ai préféré.

Ah oui ? Pourquoi ?

Eh bien je crois que c’est parce que nous avons un contexte établi dès le départ, et commun à toutes les nouvelles. Ce sont comme des chapitres d’une même histoire, alors que dans Lapin Maudit, on lit des nouvelles très différentes les unes des autres. Comme je ne suis pas une grande lectrice de nouvelles (ça me frustre trop, les nouvelles, ça se lit trop vite !), c’était plus agréable pour moi d’avoir l’impression de lire un récit à tiroirs, plutôt qu’un recueil avec des nouvelles plus disparates.

Et il y a quoi, dans ces tiroirs ?

C’est marrant (oui, je ris. Ahah), j’ai parlé de tiroirs, mais en fait, j’aurais dû parler de portes. Dans La Ronde de Nuit, nous sommes au Centre de Recherches. C’est un lieu un peu particulier, fait de longs couloirs sombres et de portes closes. Derrière chacune de ces portes est entreposé un objet, qui semble banal de prime abord (il peut aussi bien s’agir d’une veste, que d’un mouchoir, ou d’une basket), mais qui a la particularité d’être plus ou moins magique. Non, pas magique, mais possédé. Et c’est l’histoire de certains de ces objets qui sera racontée au fil des nouvelles, et celle des personnes qui croisent leur route.

Celle qui raconte, c’est l’Ancienne, la plus ancienne employée du Centre (oui, elle porte bien son nom). Elle raconte à la narratrice, dont on sait peu de choses finalement, si ce n’est qu’elle est aussi employée du Centre et qu’elle effectue des rondes de nuit (et là, c’est le livre qui porte bien son nom). En effet, les objets étant possédés, il est primordial de vérifier que tout ce petit monde se tient bien tranquille et que les portes sont correctement verrouillées. Les deux femmes se retrouvent au moment de la relève dans la salle de pause, et c’est l’occasion d’évoquer les histoires qui se sont passées au Centre de recherches. Voilà un petit peu comment s’articule le récit en fait, comme une suite d’anecdotes. Et des anecdotes, l’Ancienne en connait plein, depuis le temps. Elle partage aussi son expérience, elle sait quel objet est susceptible de s’échapper, ou quel autre peut vous faire du mal, et dispense son conseil le plus important : surtout, ne vous retournez pas si vous entendez des bruits derrière vous. Ça pose l’ambiance, hein !

Je ne vais pas résumer les nouvelles, ça serait dommage je trouve, et puis en fait, c’est dur de résumer des nouvelles. Comme c’est assez court, je trouve qu’il est difficile de raconter sans trop en dévoiler. Donc je recule franchement devant la difficulté, voilà, refus d’obstacle, le cheval rentre au box. Cataclop cataclop.

Je peux quand même vous dire qu’on croisera des fantômes, un oiseau bleu brodé qui traverse les âges, un employé poli mais ferme qui vous appelle pour demander quelle phrase conviendrait le mieux pour votre propre couronne mortuaire, et quel jour est prévue votre mort afin d’organiser la livraison du cercueil au mieux, une medium guidée dans ses prédictions par un mouton de laboratoire, ou un Youtubeur en mal de vues (et il y a un meurtre de chat encore ! Snif).

Voilà, je m’arrête là, je n’en dis pas plus. Cataclop cataclop.

Avant d’aller brouter, est-ce que tu peux au moins hennir ton avis ?

Je pourrais, mais je vais vous le faire en français, ça sera plus simple pour vous, cher lecteur et chère lectrice qui ne maîtrisez pas le langage équin.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, j’ai beaucoup aimé ! Comme je le disais en introduction, j’ai préféré La Ronde de Nuit à Lapin Maudit, et je pense vraiment que le format du récit à tiroirs (ou à portes !) y est pour beaucoup. Avoir un lieu, commun à toutes les histoires, des personnages récurrents et un même contexte, m’a ôtée l’impression de lire un recueil de nouvelles. D’autant, et j’ai adoré ça, que certains des objets apparaissent dans différentes histoires, en « personnage » principal, ou secondaire, comme autant de clins d’œil et de références que j’ai beaucoup aimé retrouver d’une histoire à l’autre. Il y a aussi certaines phrases ou situations récurrentes, et j’ai trouvé que cela faisait monter la tension, puisque l’on savait déjà quelle pourrait être l’issue.

L’ambiance d’ailleurs, est parfaite. En fait, j’ai vraiment eu l’impression de lire des histoires qui font peur, un peu comme une soirée pyjama où on se raconte des histoires effrayantes à tour de rôle (avec la lampe torche sous le menton, vous voyez ?). J’ai trouvé qu’il y avait une dimension presque intime, presque feutrée, qui est finalement, cette ambiance du Centre de Recherches la nuit. Tout y est silencieux (ou presque), l’endroit est vide (ou presque). Seuls résonnent les pas de la gardienne, qui fait sa ronde. Le chat fantomatique qui l’accompagne a des pattes de velours, comme tous les chats, et ne fait pas un bruit. J’ai complété adhéré et plongé sans retenue dans ce climat, peut-être pas effrayant, mais un peu inquiétant, où le bizarre et l’étrange peuvent surgir à n’importe quel moment.

Enfin, les histoires servent aussi à pointer du doigt certains comportements humains que l’autrice souhaite dénoncer. Je m’en rends d’autant plus compte après l’avoir entendue parler lors de son passage au Litterature Live Festival à Lyon. Certains personnages sont abjects, comme cet homme qui devient fou à force de convoiter un objet, ou cet autre qui tue la femme qui souhaite le quitter, et l’autrice tente, me semble-t-il, de faire passer certains messages. Ce qui me paraît somme toute assez logique, puisque l’on écrit en partant de ses idées. Dans la rencontre à Lyon, Bora Chung disait qu’elle puisait son inspiration des légendes et histoires coréennes de fantômes (et elle disait adorer les histoires de fantômes), mais aussi des trajectoires de vie des personnes qu’elle rencontrait, et des petits détails du quotidien qui accrochaient son imagination. J’ai retrouvé un peu tout ça dans La Ronde de Nuit. Pour les fantômes, on coche la case sans problème. En ce qui concerne les trajectoires de vie, elle cite, par exemple, des cas de féminicides qui se sont déroulés en Corée. Bora Chung soutient la cause des femmes, qui, en Corée du Sud, souffre apparemment d’encore pas mal de lacunes. Autre exemple, l’un des personnages d’une nouvelle est homosexuel. Ça ne le définit pas dans l’histoire, ça n’est pas du tout le sujet de la nouvelle, mais il essuie à un moment des remarques blessantes par rapport à son orientation sexuelle, et en souffre. C’est une anecdote par rapport au contenu de la nouvelle en question, mais d’après Wikipédia, l’homosexualité reste encore tabou en Corée du Sud. Je pense donc que Bora Chung, à sa manière, et par des détails, essaie de dénoncer des situations qu’elle jugerait bon d’améliorer. Dans la conférence, elle disait : « j’écris des histoires où je tue les méchants ». C’est effectivement ce qu’elle fait : ses personnages, hommes ou femmes, aux comportements problématiques ne connaissent effectivement pas une fin heureuse. Et je termine avec les détails de la vie quotidienne qui retiennent l’attention, avec une anecdote. Elle a raconté, toujours lors de la rencontre pendant le festival à Lyon, qu’elle avait trouvé le titre anglais de La Ronde de Nuit (The Midnight Timetable, le calendrier de minuit) par hasard. Elle attendait le bus à côté de chez elle, et dans l’abribus étaient affichés les horaires du bus de nuit en coréen, et en anglais en-dessous, avec cette mention : the midnight timetable. La formule lui est restée, jusqu’à devenir le titre de son recueil.

Donc on pousse les portes du couloir ?

Oui ! La seule règle : ne pas se retourner ! Mais sinon, plongez avec frisson dans La Ronde de Nuit, j’espère que vous y prendrez le même plaisir que moi. Je ne peux que vous recommander de lire avant ou après la transcription de son intervention à Lyon. J’y ai glané des informations qui ont complété ma lecture, et au-delà de ça, j’ai trouvé Bora Chung vraiment passionnante à écouter.

Bonne ronde, et arrêtez de caresser le chat. Plus vous le caressez, plus ça sera dur pour lui de partir. Lui aussi a le droit de disparaître.

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