Bonne nuit maman, de Seo Mi-ae

Bonne nuit maman ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 잘 자요 엄마
Autrice : Seo Mi-ae
Genre : roman noir
Parution : 2010 (Corée du Sud)
Version française : Editions du Matin Calme, 2020 / Le Livre de Poche, 2021
Traducteurs : Kwon Ji-hyun, Rémi Delmas
Nombre de pages : 269 / 320

Hé oui ! Encore un polar ! Je me suis lancée dans un emprunt massif à la bibliothèque, donc ça n’est que le début d’une petite série !

Je regrette à nouveau la fin des éditions du Matin Calme, parce que je réalise que, même si plus de polars que de romans « classiques » ont été traduits en français, la liste reste encore relativement courte. Mais bon, je n’ai pas déjà épuisé les rayons de la bibliothèque, donc ça va m’occuper un petit moment !

« Bonne nuit maman » est donc un roman noir écrit par Seo Mi-ae, sorti en 2010 en Corée du Sud, et en 2020 pour la version française. Ce livre fait partie d’une trilogie, ce qui n’était pas prévu à la base, mais les lecteurs voulant connaître la suite de l’histoire, l’autrice a décidé de la prolonger. Le deuxième tome, « Chut c’est un secret », est paru en 2021 en français. Quant au troisième tome, j’ai cru comprendre qu’il était en cours d’écriture.

Avant de parler de l’œuvre proprement dite, quelques mots sur l’autrice. Seo Mi-ae est, ai-je lu, une star du polar. Elle est venue plusieurs fois en France à l’occasion de festivals de littérature, et c’est intéressant de lire ses interviews. En gros, elle s’intéresse principalement à la psychologie des personnages, et déclare qu’il n’y a souvent pas besoin d’aller chercher des idées d’histoires très loin, car l’horreur peut survenir dans un cadre familier, voire familial, très simplement. Elle cite d’ailleurs Stephen King (auquel elle est apparemment souvent comparée) : « Un jour, il a expliqué qu’il ne fallait pas chercher l’horreur à l’extérieur parce qu’elle se trouve souvent en premier lieu au sein même de la cellule familiale. » Les liens familiaux sont donc largement exploités dans son œuvre, ainsi, qu’en toile de fond, une société coréenne violente. Sans se revendiquer féministe, Seo Mi-ae décrit la société dans laquelle elle vit, encore largement inégalitaire, et dans laquelle les femmes représentent 80% des victimes de violences, de harcèlements ou de crimes. Pas étonnant que ses livres rencontrent un franc succès auprès du lectorat féminin :

« Je n’écris pas particulièrement pour défendre les droits des femmes, ce n’est pas mon intention, mais je parle de situations que j’ai vécues ou ressenties. Le public en Corée se compose de femmes de plus de 20 ans et elles peuvent s’identifier à ce que je raconte puisqu’on partage la même expérience, les mêmes colères, et qu’on se comprend. Quand j’écris une nouvelle sur la vengeance d’une femme, c’est un peu comme si elles se vengeaient elles-mêmes. C’est une vengeance par procuration, une sorte de catharsis.« 

Ah oui, parce que Seo Mi-ae est aussi l’autrice d’une nouvelle intitulée : « Les 30 meilleures façons d’assassiner son mari (et autres meurtres conjugaux) ». Mais que les maris se rassurent, l’histoire parle d’une épouse avouant un crime qu’elle a désiré très fort, mais qu’elle n’a pas commis (je ne sais pas si c’est tellement rassurant finalement !). Cette nouvelle, publiée en 1994, obtiendra un grand succès et lancera sa carrière en Corée du Sud.

« Elle est fascinée par la naissance du Mal au cœur d’une famille”, dit d’elle son éditeur français Pierre Bisiou (le fondateur des fameuses éditions du Matin Calme). C’est tout de même amusant de considérer cette jolie dame à l’air tranquille en experte du crime. Et ce n’est pas sans rappeler l’autre grande dame de la littérature policière, Agatha Christie, à qui on aurait aussi donné le bon dieu sans confession (c’est le collier de perles qui fait ça, et les petites lunettes !). D’ailleurs, Seo Mi-ae fait partie du club d’auteurs femmes Miss Marple ! J’aime beaucoup cette traversée des frontières et des époques, comme quoi, la littérature criminelle est un peu notre esperanto littéraire !

C’est intriguant ! Alors ça parle de quoi « Bonne nuit maman » ?

« Bonne nuit maman » tisse plusieurs fils que l’on va suivre en parallèle, et qui, à un moment donné, vont bien sûr se rejoindre. J’aime ce type de construction ! Il permet de développer les situations vues du prisme des différents personnages, et effectivement, cela permet de plonger tête en avant dans les psychologies. D’ailleurs, avant même de lire la moindre ligne sur Seo Mi-ae, je m’étais déjà fait la réflexion que les personnages étaient super bien écrits. Ils sont très humains, et de fait, nous deviennent familiers rapidement.

Nous suivons Lee Seon-gyeong, une criminologue (mais pas du tout le même profil que notre inspecteur de L’Île des Chamanes pour le coup), qui va se retrouver l’interlocutrice privilégiée d’un tueur en série incarcéré, condamné à mort. Pourquoi souhaite-t-il lui parler, à elle, spécifiquement ? Mystère. Pour la police, cela représenterait l’ultime chance de faire avouer au criminel les assassinats qu’il n’a pas encore reconnu. Pour notre criminologue, c’est une grosse responsabilité. Mais en tant que spécialiste de la psychologie des tueurs en série, c’est aussi une chance inespérée d’étudier le profil du tueur, connu comme charismatique et manipulateur. Et malgré l’appréhension, elle accepte de mener ces entretiens.

Côté vie privée, elle est mariée depuis quelques années à un homme dont c’est le deuxième mariage, et qui a eu une petite fille, Ha-yeong, de cette précédente union. La maman de la fillette est décédée un an auparavant, et elle est élevée par ses grands-parents maternels. On n’en sait pas plus. Tout va bien dans le couple, jusqu’à ce que, du jour au lendemain, la fillette vienne vivre avec eux. En effet, sa maison a pris feu, et ses grands-parents ont péri dans l’incendie. Deux inspecteurs sont d’ailleurs sur le coup pour tenter de déterminer la cause des flammes, mais il n’y a apparemment pas de témoin, et le mystère semble rester entier.

Seon-gyeong se retrouve donc à devoir prendre en charge une enfant, et à composer avec son caractère. Oui, parce qu’il faut préciser que le père travaille beaucoup, et que l’éducation des enfants reste, en Corée du Sud, la responsabilité des femmes.

Farouche, ou même carrément hostile, on ne sait pas trop sur quel pied il faut danser avec Ha-yeong. Arrivée avec seulement son ours en peluche, la fillette reste fermée comme une huître face à Seon-gyeong, et ne paraît pas accepter facilement cette deuxième femme qui a remplacé sa mère dans le cœur et la vie de son père.

Sans le vouloir, et sans le réaliser tout de suite, Seon-gyeong se retrouvera à la croisée de ces deux existences qui l’entourent, et qu’elle essaie malgré tout de comprendre : celle du criminel avéré qui rêve peut-être de rédemption, et celle de cette petite fille qui ne semble plus avoir de rêve du tout.

Naviguant à vue, parfois maladroite, voire complètement larguée, mais malgré tout optimisme et de bonne volonté, Seon-gyeong va garder le cap pour mener à bien ses différentes missions. Mais quand les deux inspecteurs enquêtant sur l’incendie lui signalent qu’Ha-yeong est la seule témoin de l’incident, et qu’il était étrange qu’elle semble déjà prête à partir, chaussures aux pieds, lorsque les flammes ont embrasé la maison de ses grands-parents, Seon-gyeong commence à s’interroger, et son optimisme vacille. Ou peut-être qu’il avait déjà vacillé lorsque la fillette l’avait menacée avec une paire de ciseaux… Ou lorsque l’école avait appelé pour signaler qu’Ha-yeong avait poussé l’un de ses camarades du haut des escaliers… Seon-gyeong tente de se raisonner : Ha-yeong n’est qu’une enfant, elle n’a que onze ans, et a déjà vécu un début de vie atroce, elle est traumatisée, c’est tout !… Onze ans… Tiens c’est vrai, le même âge que Mary Bell, la plus jeune tueuse en série connue…

Et je m’arrête là.

C’est horrible de s’arrêter en plein milieu ! On veut savoir la suite !

Hé oui, je me doute ! Mais je ne vais pas tout vous raconter quand même ! Et je profite d’ailleurs de cette aimable interruption, cher lecteur, chère lectrice, pour faire une petite parenthèse :

Parenthèse tueurs en série

J’avais noté dans un coin de ma tête que les tueurs en série étaient un thème récurrent dans les œuvres « policières » sud-coréennes. Vous me direz que c’est un motif récurrent dans ce genre, je vous répondrai que oui, mais ce qui me semble différent, c’est une sorte d’impact, un choc, qui m’apparaît vraiment très concret, presque tangible, du tueur en série dans la société.

Pour exemple, le film « Memories of Murder » de Bong Joon-ho (le réalisateur de « Parasites ») s’inspire de l’histoire vraie des premiers meurtres en série de l’histoire de la Corée ayant lieu à la fin des années 80 (et si vous avez vu ce film, sorti en 2002, ça fait vraiment froid dans le dos).

Le film parle d’une enquête d’envergure sur les traces d’un tueur en série, qui ne sera jamais attrapé. Des cadavres avaient été retrouvés, mais impossible de mettre la main sur l’assassin. Le film s’achève d’ailleurs sur cette quête inachevée, avec un dernier plan laissant un souvenir marquant au spectateur. Truc assez fou : le tueur a été identifié en 2019, 30 ans plus tard, grâce à l’avancée technologique en matière d’extraction d’ADN. Et il s’avère qu’il était déjà en prison depuis 1994 pour un autre crime, mais qui n’avait pas été relié à la dizaine d’autres.

Dans « Bonne nuit maman », il est fait mention de deux tueurs en série ayant réellement existé : Kang Ho-soon et Yoo Young-chul. De ce dernier, il est aussi fait mention dans « L’Île des Chamanes » (orthographié Yu Yeong-cheol). Dans le livre, il est même dit que c’est après la découverte des crimes de ce tueur que la police nationale décide de « recruter parmi les policiers qualifiés en psychologie ceux susceptibles de devenir des analystes du comportement criminel ». Le film « The Chaser« , de Na Hong-jin, sorti en 2009, s’inspire de l’histoire de Yoo. Il faut dire que ses méfaits sont nombreux, et horribles : viols, meurtres, cannibalisme. Une page Wikipédia lui est consacrée, mais sachez qu’il a fait plus d’une vingtaine de victimes entre 2003 et 2004, avant d’être arrêté. Il y a de quoi, effectivement, traumatiser une société.

L’autre point qui m’a marquée, c’est la torture d’animaux. Je m’explique. Dans « L’Île des Chamanes », il est question de meurtres de chiens, et une torture de chat est évoquée. Dans « Bonne nuit maman », un chat (encore) risque de passer à la casserole. Je ne me souviens plus à vrai dire s’il en est question dans les deux films que j’ai mentionné plus haut. En tapant tout à l’heure « tueur en série Corée du sud » (mes suggestions Google vont être sympas dans les jours à venir) pour en savoir plus sur l’histoire de Yoo, l’un des premiers résultats était un article du Monde datant de 2023 sur l’arrestation d’un potentiel nouveau tueur en série en Corée du Sud. Et l’image d’illustration, je vous le donne en mille, c’est une capture de vidéosurveillance (ou ça y ressemble) montrant un homme souriant tenant un chat en laisse et s’apprêtant à le plonger dans l’eau. La photo s’accompagne de cette légende : « Des captures d’écran montrent le suspect, Lee Ki-young, martyrisant un chat dans une piscine ». Je vous avoue que je suis assez sensible à la violence gratuite, et je n’étais pas très à l’aise pendant les passages de description de torture d’animaux dans les livres (ni ailleurs d’ailleurs). Et je ne comprenais pas trop ce schéma qui semblait se répéter d’un ouvrage à l’autre. Je me doutais qu’il y avait une raison, mais je ne savais pas laquelle. Je pense avoir trouvé un élément de réponse dans « Bonne nuit maman ».

Seon-gyeong, la criminologue, enseigne la psychologie criminelle dans une université. Lors d’un de ses cours, elle parle de la « triade MacDonald » (non, rien à voir avec la nourriture grasse que l’on consomme pourtant avec plaisir les lendemains de soirées alcoolisées), du nom d’un psychologue américain, John M. Macdonald, qui a décrit dans un article en 1963 trois caractéristiques comportementales pouvant être prémices de violences, si présentes en même temps. D’après MacDonald, et c’est repris par Seon-gyeong dans son cours, ces trois symptômes permettent d’identifier la présence d’une psychose chez l’enfant, et sont des traits communs aux tueurs en série, bien qu’il y ait de rares exceptions. Ces trois symptômes sont : l’énurésie nocturne (persistantes après l’âge de 5 ans, précise la page Wikipédia sur la triade MacDonald)(l’énurésie nocturne, c’est faire pipi au lit), la pyromanie et… la cruauté envers les animaux ! Voilà, tout s’explique. Je sais, nous savons, maintenant pourquoi des épisodes ou des mentions de torture animale apparaissent dans les livres. Âmes sensibles, attention donc.

Finalement, on lit ou pas ?

Oui ! On lit ! On dévore même ! (attention, cas avéré de cannibalisme littéraire, planquez vos bouquins). D’ailleurs, si vous voulez commencer tout de suite, les premières pages sont disponibles en ligne !

J’ai réellement pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, je me suis attachée assez vite à Seon-gyeong, et j’ai palpité à son rythme tout au long du récit. Effectivement, et je le redis, les personnages sont bien ficelés, et je les trouve très crédibles. Ils sont si humains (même le tueur en série finalement), ils font des erreurs, se mettent en colère, râlent, ont du mal à se réveiller le matin, prennent sur eux, ou au contraire, pas du tout, sont émus, déçus, furieux… On retrouve en eux toutes les facettes qui constituent la vie finalement, dans ses côtés lumineux ou terriblement obscurs, et cela fonctionne très bien.

En terme d’écriture, je l’ai trouvée plaisante, claire. Elle ne va pas chercher midi à quatorze heure, les choses sont dites, décrites, simplement. L’histoire se déroule sous nos yeux, implacablement. On devine parfois, on pressent surtout. On croit deviner, on espère se tromper, on se trompe, ouf !… Ah non, en fait, c’est encore pire que ce qu’on imaginait !

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