L’Île des Chamanes, un polar qui rame (en même temps, ça se passe sur une île…)

L’Île des Chamanes ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 섬,짓하다
Autrice : Kim Jay
Genre : thriller, policier
Parution : 2014 (Corée du Sud)
Version française : Editions du Matin Calme, 2021
Traducteurs : Ae-Young Choe, Jean Bellemin-Noël
Nombre de pages : 276

Bon, comme vous l’aurez compris à la lecture du titre, je n’ai été que moyennement convaincue par L’Île des Chamanes.

Ce roman est sorti en 2014 en Corée du Sud, et a été publié en français en 2021, aux Editions du Matin Calme.

Pour info, les Editions du Matin Calme, lancées en 2020, étaient spécialisées dans la traduction et l’édition de polars coréens. J’en parle au passé, car malheureusement, la maison d’édition a mis la clé sous la porte en 2024. Dommage pour la diffusion en France des œuvres coréennes…

Avant d’entrer dans le pourquoi du comment, petite introduction : ce livre a été écrit par Kim Jay, qui semble être une autrice de romans policiers archi-connue et célébrée en Corée du Sud. Elle est quand même vice-présidente de l’Association des auteurs de romans policiers de Corée (ce qui claque, je trouve, en terme de titre), elle a remporté des prix littéraires, et ses romans sont des best-sellers. Donc moi, je m’imagine une sorte d’Agatha Christie sud-coréenne en fait.

Merci QuoiCorée pour ce préambule.

Mais je vous en prie, c’est bien naturel.

Et le livre alors, il parle de quoi ?

Nous suivons Kim Seong-ho, un talentueux profileur – à savoir un policier spécialisé dans l’analyse psychologique des suspects, tentant de mener à bien une enquête à Gangnam. L’affaire implique un adolescent, Yi Jun-hi, suspecté d’avoir brutalement assassiné une femme, après avoir révélé ses coordonnées et l’avoir menacée sur un site internet, Hebdo-pop. Ce site, sorte de forum immense, promet l’anonymat à ses utilisateurs. On y trouve donc de tout, des complots aux menaces de mort.

L’adolescent reconnaît avoir voulu organiser une expédition punitive contre cette femme (sa faute étant de ressembler à un « cyborg », terme dépréciatif utilisé pour qualifier une personne « défigurée par un excès de chirurgie esthétique »), mais nie fermement le crime. Kim Seong-ho est donc là pour essayer de cerner sa personnalité, et surtout, l’amener à des aveux. Mais notre policier n’est pas convaincu de la culpabilité du jeune homme, et échoue d’ailleurs à lui arracher la moindre confession. L’enquête piétine. Le capitaine en charge de l’affaire est furieux et s’en prend à notre profileur, qui malgré tout, campe sur ses positions : d’après lui, le jeune homme est innocent. Bien obligé, mais de mauvaise grâce, le capitaine relâche Yi Jun-hi, et évince Kim Seong-ho. Amer, le profileur s’apprête à partir, lorsqu’une nouvelle fracassante tombe : l’adolescent a tenté de se suicider et est en soins intensifs. La colère des utilisateurs d’Hebdo-pop ne se fait pas attendre, et Kim Seong-ho réalise qu’il est victime de « doxing », ses informations personnelles ont été dévoilées sur Hebdo-pop. Les internautes veulent le punir pour avoir, pensent-ils, voulu faire accuser l’un des leurs, et l’avoir poussé au suicide. Ses comptes sont piratés, des commentaires injurieux, signés de son nom, sont publiés sur des sites internets, et ce n’est qu’un début. Kim Seong-ho doit faire profil bas, et attendre que la tempête passe. En espérant qu’elle passe.

Après ce démarrage pas vraiment sur les chapeaux de roues, retour à Séoul pour notre profileur. Son supérieur, ayant eu vent de la débâcle à Gangnam, et comprenant que Kim Seong-ho a le moral dans les chaussettes, décide de l’envoyer travailler au vert, sur l’île de Sambo. En effet, sur cette petite île connue pour sa peinture, ses chants et danses folkloriques, et son alcool rouge, trois femmes ont disparu.

Pour cette île, tranquille et peu peuplée, ces disparitions sont peu communes, et les policiers sur place sont dépassés. Kim Seong-ho arrive donc à la rescousse. Est aussi dépêché sur les lieux un expert en graphologie (une lettre étrange ayant été envoyée au commissariat), membre du Musée national du folklore en Corée, chercheur en chamanisme et rituels divers.

Cet homme, qui dit avoir étudié les esprits au point de s’en sentir proche, semble bien curieux à propos du passé de Kim Seong-ho. Mais manque de chance, le policier a subi un terrible accident dans l’enfance, et les souvenirs de ses jeunes années se sont totalement effacés.

Une fois arrivés sur place, l’enquête commence. S’appuyant sur ses connaissances en psychologie criminelle, Kim Seong-ho échafaude des théories, tente d’entrer dans l’esprit du criminel. Mais les indices sont peu nombreux, et les pistes, trop minces. La tâche va être ardue. D’autant que la nuit, Kim Seong-ho repense aux esprits évoqués par le spécialiste en folklore. Citant Nietzsche, il l’avait presque mis en garde : « Celui qui va combattre des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. Si tu regardes dans l’abîme, sache que l’abîme aussi regarde en toi. » Ça lui fait froid dans le dos.

Naviguant entre le présent et les réminiscences du passé, Kim Seong-ho devra garder toute sa lucidité pour éclaircir ces trois meurtres. Mais à quel prix ?

Ça a l’air plutôt sympa comme ça !

Oui, je suis d’accord, le début de l’histoire est plutôt prometteur si on est amateur du genre. Mais, de mon point de vue, ça se gâte très vite.

Ah. Vas-y raconte

D’accord, et je vais essayer de ne pas spoiler le peu de mystères que l’intrigue contient, car en fait, tout est un peu gros. C’est pour ça que je dis qu’il rame : très rapidement, on devine grosso modo ce qu’il va se passer. On soupçonne très vite qui est le coupable, et c’est dommage ! Ce que j’aime dans un polar, c’est la surprise, la déduction petit à petit. Là, c’est téléphoné, l’un des personnages a des sabots tellement gros qu’il nous met la puce à l’oreille direct, et la suite de l’histoire ne fait que l’appuyer encore. A tel point que la résolution finale n’est en aucun cas surprenante.

Ensuite, notre personnage principal me semble quand même un poil stéréotypé : il est solitaire, plutôt silencieux, pas très sociable, un peu taciturne, il a des trous et des troubles de mémoire, des insomnies… Je l’imagine très bien avec un imperméable beige, la clope au bec, en train de froncer les sourcils d’un air torturé. Voilà, j’ai rien contre les inspecteurs en trench, mais je crois que je n’ai pas trop accroché avec le personnage, ni même eu d’empathie pour lui. Ce qui désamorce pas mal le « twist » des révélations (et puis, soit dit en passant, le twist en question, on le sent venir gros comme une maison. C’est un twist à gros sabots, lui aussi.).

Ok, en faisant cette recherche de gif, je me suis rendue compte que je confondais Derrick et Columbo, qui pour moi, n’étaient qu’une seule et même entité. Le chien de Télé Z va venir me hanter, j’en suis sûre.

En terme de style, ou de construction, l’action principale se déroule sur une dizaine de jours (les chapitres comportent des dates). C’est donc assez condensé, mais malgré ça, j’ai trouvé que c’était long par moments. Mais je crois que c’est parce que je n’ai pas trop accroché avec le perso principal. Du coup, je n’étais pas très réceptive à ses monologues intérieurs. Les descriptions de paysages sont assez succinctes, mais moi, ça me va, je ne suis pas une fana des descriptions à rallonge (j’appelle ça le « traumalzac », de « traumatisme » et « Balzac »). Globalement, c’est bien écrit. Enfin l’écriture ne m’a pas éblouie, mais le style était clair, et l’histoire, facile à suivre. C’est une traduction, donc il faut aussi garder en tête qu’on perd sûrement certaines choses. J’ai été surprise d’ailleurs par certains choix de traduction, que j’ai trouvé un peu spéciaux. En fait, ce sont des onomatopées dans les dialogues, qui reviennent, comme « pfou-ou » pour un soupir (qui revient plusieurs fois), ou « hi-hi-hi ». Vous me direz, ce sont des détails, et oui, c’est vrai, mais les dialogues collent plutôt bien au langage parlé, les niveaux de langages sont clairs, le vocabulaire est crédible, alors « pfou-ou », ou « hi-hi-hi » ça sonne un peu artificiel, et oui, ça me surprend un brin. Par contre, et je ne sais pas si c’est comme ça dans l’édition originale ou si c’est un ajout à la traduction, le livre comprend un index des noms ! Et ça, c’est super ! J’avoue que je suis parfois perdue dans les noms des différents personnages (et là, il y en a pas mal), donc un petit récap de qui est qui, eh ben c’est bien pratique. Chapeau !

Ah, par contre, et si vous voulez voir des chamanes, vous allez être déçus. Il y en a bien une, mais elle est morte, puisqu’elle est l’une des victimes. Et il y a bien un rituel chamanique, mais il dure une dizaine de pages (j’ai compté large en englobant les préparatifs) sur environ 300 pages. Voilà.

Petite alerte si vous craignez les histoires violentes de harcèlement scolaire, ou les souffrances animales, enfin, la violence gratuite sous toutes ses formes, il y a quelques passages qui pourraient vous mettre mal à l’aise. Je n’ai pas trouvé ça insoutenable (mais aussi je n’étais pas vraiment émotionnellement engagée dans l’œuvre, je le reconnais), mais je préfère le noter.

Hum. On lit ou pas ?

Ben, c’est dur à dire. Ce n’est pas un mauvais livre du tout, mais il ne m’a pas touchée, ni réellement emmenée avec lui. J’ai été déçue de deviner relativement rapidement l’issue de l’histoire, l’identité du meurtrier, et le passé de Kim Seong-ho. C’est une lecture de distraction, parfaite pour un voyage en train, sans difficulté particulière. Et je n’ai absolument rien contre ce type de littérature, pour moi, il a tout à fait sa place dans le vaste panorama littéraire, et que c’est aussi agréable, parfois, de lire juste pour le plaisir de lire. En revanche, je trouve que le titre, l’illustration du livre (qui, au passage, est très belle), et la quatrième de couverture laissent penser que l’on va plonger dans une intrigue haletante, et surprenante, ce qui n’est pas vraiment le cas. Et je crois que c’est plutôt cette divergence qui me chafouine, comme une promesse non tenue. Mais pas d’inquiétude, je vais m’en remettre, on peut emprunter jusqu’à 20 livres à la médiathèque, et croyez-moi, j’ai fait chauffer la carte d’abonnée ! Le plaisir de la découverte sera toujours intact, peu importe le nombre d’inspecteurs en trench qu’on y croise ! « Hi-hi-hi » !

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