
Bienvenue ? Vos papiers svp 🥸
• Titre original : 환영
• Autrice : Kim Yi-seol
• Genre : roman social
• Parution : 2011 (Corée du Sud)
• Version française : Editions Picquier, 2013
• Traducteurs : Françoise Nagel, Yeong-hee Lim
• Nombre de pages : 176
Bienvenue est un roman de l’autrice sud-coréenne Kim Yi-seol et a valu à son autrice le prix Hwang Sun-won de la Nouvelle Littérature en 2012.
Ecrivaine née en 1975, Kim Yi-seol débute sa carrière par la publication de nouvelles, genre très en vogue en Corée du Sud, en 2006. Elle publie en 2010 un recueil de nouvelles intitulé : « Les choses qu’on ne dit pas » (« 아무도 말하지 않는 것들 » en coréen).
Sur la quatrième de couverture, on peut lire que ces nouvelles parlent de « l’histoire de ceux qui vivent dans les endroits les plus bas et dans la plus grande douleur ». Rien que la couverture elle-même annonce la couleur (oh oui, ça a l’air bien lugubre).
Et dans le résumé du livre, on trouve ces mots : « La force motrice qui me maintient en vie est la vie des autres qui me fait constamment douter que « c’est une bonne vie d’endurer en silence » et qui induit un sentiment de réconfort et d’auto-punition. » (merci Google pour la traduction).

Les nouvelles de Kim Yi-seol semblent donc parler des petites gens, ou de cette classe « d’en bas », qui lutte quotidiennement pour survivre, oubliées par le miracle économique. Mère porteuse, prostituée, mère célibataire, SDF… ses personnages, abimés et meurtris, révèlent une facette peu reluisante d’une société coréenne ultra-compétitive, dans laquelle les femmes sont souvent les plus perdantes.
Je vous invite à lire l’article sur « Kim Jiyoung, née en 1982« , de Cho Nam-Joo, pour un aperçu sur les inégalités homme/femme en Corée du Sud, et celui sur « Made in Gangnam« , de Ju Won-kyu, pour un éclairage sur les inégalités tout court.
Bon, ça a l’air joyeux encore cette affaire
Effectivement, « Bienvenue » n’est pas un roman qui respire la joie de vivre. En fait, je l’ai emprunté à la bibliothèque sans même lire la quatrième de couverture, et j’avoue que lorsque j’ai lu la première phrase du roman : « M. Wang glissa la tête entre mes cuisses et renifla. », je l’ai relue une deuxième fois, pour être sûre d’avoir bien compris. Et ensuite j’ai lu la quatrième de couverture. Et j’ai compris que j’avais bien compris.
Donc le début du roman annonce la couleur en fait. Nous sommes à Séoul, à l’époque contemporaine, et nous allons suivre la vie de Yunyeong. Elle a 31 ou 32 ans, je ne sais plus, et vraiment, rien ne va dans sa vie. Ni dans celles de ceux qui l’entourent. Elle est jeune maman, elle a eu une petite fille avec son compagnon, un étudiant qui veut passer les concours des fonctionnaires. Ils ne sont pas mariés, préférant attendre d’avoir une meilleure situation pour organiser une cérémonie. Ils vivent dans un studio qui semble plutôt sordide. Yunyeong a un frère et une sœur, qui lui demandent régulièrement de l’argent, et une mère, qui lui en demandera aussi. Son compagnon est étudiant, c’est donc à elle qu’incombe la responsabilité de faire vivre le foyer. C’est assez terrible, car les relations sont mises à mal par le manque d’argent, elles sont régies par le manque d’argent. En fait, vraiment, au début, rien ne va. Et rien ne va s’arranger.
Une suite de désillusions s’enchaîne : le compagnon se révèle être un incapable qui abandonne ses études, se consacre à leur fille, mais en profite aussi pour flirter avec la propriétaire de l’épicerie en bas de chez eux, la sœur de Yunyeong, pourtant initialement promise à de brillantes études, ne pourra pas étudier correctement par manque d’argent, et tombera dans une addiction aux jeux qui la détruira, son frère naviguera de magouille en magouille, la mère se retrouvera sans abri et finira par venir vivre avec eux, et surtout, Yunyeong trouvera difficilement un travail de serveuse au Jardin des Jujubiers, mais qui, sans qu’elle ne s’en doute, n’est que la couverture d’un service de prostitution auprès des clients : « A force de voir des os de poulet tachés de rouge à lèvres, des poils pubiens flotter dans les restes de soupe, des mouchoirs en papier froissés traîner dans tous les coins, des préservatifs encore humides, et de devoir essuyer les traces de sperme sur les murs, j’en venais à me demander dans quel monde sordide je vivais. Dans ces pavillons qu’aurait dû embaumer l’odeur succulente de la soupe de poulet aux jujubes, on ne respirait que les effluves écœurants de passions adultères et désordonnées. »
D’abord ébahie, voire effrayée, elle se laissera finalement happer par les possibilités de gains, et cela deviendra son boulot régulier. Elle l’endure, parce qu’il y a sa fille à nourrir, qu’elle doit supplanter son mari en tant que « chef de famille », parce qu’elle doit payer le loyer, que sa sœur réclame de l’argent, son frère aussi, sa mère aussi. Tout le poids du monde pèse sur elle, et ça ne sera finalement que la seule alternative qui s’offrira à elle.
Il y a quelque chose d’extrêmement dur dans ce roman, et dans la personnalité de l’héroïne. Elle se blinde au fur et à mesure, mais on la sent plusieurs fois au bord de l’implosion. Elle ne supporte plus de voir son compagnon abandonner ses études et passer ses journées à la maison, alors que c’était lui qui devait élever leur niveau de vie et leur procurer une vie décente. C’est ce qu’il avait promis, et c’est aussi pour ça qu’elle s’était engagée avec lui. Elle se sent flouée : « Tous les espoirs que j’avais placé en lui s’étaient envolés. Mais le plus insupportable encore, c’était d’avoir cru en lui. »
Yunyeong va tenir bon. Elle démissionne de ce travail qui lui ravage l’esprit et le corps, retrouve un emploi de serveuse « classique » dans un petit restaurant, calcule, planifie, échafaude sa vie pour réussir à accéder à une vie meilleure, pour elle, oui, mais surtout pour sa fille. D’autant qu’il apparaît que la fillette a une maladie, et les traitements coûtent extrêmement cher. Elle se démène pour gagner de l’argent, et réussi même à faire bouger son horripilant compagnon. L’avenir semble s’éclaircir (un peu hein), mais patatras, son compagnon se fait renverser par un camion, et doit être hospitalisé. C’est une catastrophe, tout l’argent y passe : « Quand on est pauvre, il vaut mieux ne pas tomber malade ». Le traitement pour sa fille doit être stoppé. Et pour couronner le tout, son frère contracte une dette qu’elle se retrouve contrainte de devoir rembourser. Mais encore une fois, Yunyeong puise en elle l’énergie et la ténacité pour continuer coûte que coûte. Et elle retourne au Jardin des Jujubiers, ce restaurant où les clients consomment de la viande et des corps : « Tout recommençait comme avant. J’aurais encore besoin de toute ma patience et ma ténacité. Mais, dans ce domaine, personne ne m’arrivait à la cheville ».
Eh bah, quelle histoire !
Oui, c’est une histoire dense, sans répit. Qui heurte et percute sans cesse. La vie de Yunyeong n’est qu’une succession de déceptions, clairement, mais je trouve admirable, bien que parfois effrayante, la manière dont elle rationalise absolument tout dans le but de survivre. Elle vit dans un monde extrêmement violent, où il est interdit de tomber malade, de tomber enceinte, car la seule richesse qu’elle possède, c’est sa force de travail : « Plus la douleur s’intensifiait, plus je me demandais si ça valait la peine de vivre ainsi. Mais surtout, j’avais peur. Si je tombais malade, que deviendrais-je ? Malgré tout, je ne pouvais m’arrêter ». Elle ne trouve de répit nulle part, et ne peut réellement compter que sur elle-même. Sa famille est un poids, son compagnon est un poids. Son patron est débectable, autoritaire et abusif, et les clients qu’elle sert, méprisants. La corruption règne bien sûr, mais le cousin du patron est policier, alors…
Les seules onces d’humanité viennent des quelques femmes qu’elle côtoie, ses deux collègues du Jardin des Jujubiers principalement. L’une, Yun, est une vieille femme, cuisinière au restaurant, l’autre, Jini, a une quarantaine d’années, et est serveuse aussi. Ces deux femmes, sans tendresse pourtant, dans une sorte de solidarité de la misère, amènent quelques rares moments de calme. Elles discutent, parlent de leurs problèmes, s’entraident même parfois. Il faut dire que leurs situations ne sont pas enviables non plus : Jini a deux garçons, encore scolarisés et dont il faut payer les études, mais surtout, son mari est atteint d’un cancer, et ça coûte cher un cancer, et Yun, dont le mari a perdu son travail lors de la crise économique de 1997, se retrouve à soutenir sa famille, elle-aussi, et enchaîne les boulots jour et nuit. Deux autres chemins de vie, deux autres femmes, mais qui, comme Yunyeong, sont engluées, seules, dans une course effrénée à l’argent, condition sine qua none de leur survie et de celle de leurs familles.
Je suis sortie de cette lecture un peu déboussolée. J’ai lu le roman d’une traite, il n’est pas très long, 170 pages, et il m’a happée. Le style est simple, le récit à la première personne permet une immersion rapide. Et cette première phrase choc, ben, elle choque justement. Et la vie de Yunyeong qui défile au fil des pages nous embarque. On assiste, témoin passif, à ce qui pourrait être une descente aux enfers, mais n’en est finalement pas totalement une. Et c’est pour ça que je trouve l’héroïne admirable. Je ne dirais pas qu’elle est attachante, elle est sèche et rude, je ne trouve pas ce soit un personnage pour lequel on puisse éprouver de la tendresse (du moins, pour moi), mais en revanche, je salue son ardeur à vivre. Son enfance, sa vie de jeune adulte, racontée lors de sortes de flashbacks au cours du récit, s’inscrit de manière très fluide dans la narration. J’avais envie de savoir quel avait été son passé, et comment le monde autour d’elle n’avait pas tenu les promesses auxquelles elle s’attendait. D’ailleurs, le titre en coréen, 환영, peut se traduire par Bienvenue, mais aussi par illusion. Un autre sens qui, finalement, résume aussi ce monde qui s’effondre autour d’elle, et ne lui laisse d’autre choix que de devoir rester solide, face à une violence, elle, bien réelle.


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