La langue et le couteau, de Kwon Jeong-hyun

La langue et le couteau ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 칼과 혀
Auteur : Kwon Jeong-hyun
Genre : historique
Parution : 2017 (Corée du Sud)
Version française : Editions Picquier, 2019
Traducteurs : Lucie Modde, Yeong-hee Lim
Nombre de pages : 298

La langue et le couteau est un roman de l’auteur sud-coréen Kwon Jeong-hyun. Il s’agit du premier titre de l’auteur traduit en français. C’est assez mignon d’ailleurs, parce que l’auteur adresse un message à ses futurs lecteurs français à la fin de l’ouvrage. Il y compare la France et la Corée au prisme de l’occupation, japonaise pour la Corée, allemande pour la France. Il espère ensuite que les lecteurs français apprécieront ce récit d’une « guerre oubliée », traitée autour de la thématique de la cuisine.

De la cuisine ?

Eh oui, comme nous pouvons le comprendre grâce à l’illustration de la couverture (que je trouve d’ailleurs très belle, j’aime bien cette esthétique), ce roman nous parlera de cuisine. Pas n’importe laquelle, pas faite par n’importe qui, ni pour n’importe qui. Mais c’est bel et bien elle qui liera tous nos personnages principaux.

L’action se passe en Mandchourie en 1945, plus exactement au Mandchoukouo, ce « royaume » créé dans les années 30 par les Japonais lors de l’invasion de la Mandchourie (nous en avions parlé dans l’article sur Monsieur Han, l’auteur, Hwang Sok-yong, y étant né). Nous sommes à la fin de la seconde Guerre Mondiale (mais ça, les personnages le pressentent sans pouvoir le savoir), l’armée russe progresse face à l’armée japonaise, et c’est dans ce contexte violent et instable que nos personnages entrent en scène.

Le premier à prendre la parole s’appelle Chen. Il est originaire de Canton, en Chine. Son père avait pour ambition de devenir le meilleur cuisinier de Canton, et il racontait à qui voulait l’entendre qu’il était né sur un billot, celui qui servait à découper la viande (et accessoirement la viande de chien lors de la fête de Yulin). Il a transmis son art à son fils, sous la contrainte et la menace, mais enfin Chen est devenu un excellent cuisinier, qui maîtrise sa discipline à la perfection. Sûr de son talent, et malgré son aspect bossu et peu menaçant, il cache donc cette force. Et il semblerait que Chen fasse partie d’un groupe révolutionnaire…

Nous avons ensuite Yamada Otozô, le commandant japonais, en garnison à Xinjing, la capitale du Mandchoukouo. Ancien professeur d’école normale, enrôlé de force dans l’armée, nostalgique de son pays, de son enfance, de sa mère morte trop jeune, il trouve son plaisir dans la contemplation d’un Bouddha, au temple, et dans la nourriture. Mais la nourriture raffinée, qui vient titiller le palais, et ravir la langue. Il est donc très frustré par la cuisine de la cantine militaire.

Et paf, c’est comme ça que nos deux personnages se rencontrent : Chen est arrêté pour avoir rôdé autour du palais impérial. Pour sauver sa peau, il clame son talent de cuisinier. Otozô lui lance alors un défi : préparer un plat en une minute, avec un seul ingrédient. Pas le droit d’utiliser de l’huile, ni une sauce. Et pour les ustensiles, seulement un couteau et du feu. Chen proteste, mais relève le défi. Après tout, il y va de sa vie. « Un pari où l’on joue sa vie est toujours intéressant », comme le dit Otozô.

Le troisième personnage principal est une femme coréenne, Kilsun. Fille d’un herboriste, mariée à Chen, le cuisinier chinois, elle est la sœur d’un révolutionnaire coréen qui souhaite assassiner les dignitaires japonais. Il veut utiliser sa sœur pour obtenir des informations, en particulier sur le commandant Otozô, sa prochaine cible. Se sentant sous l’emprise de ce frère qui l’a violée à l’adolescence, c’est sur son ordre qu’elle est venue à Xinching. Son histoire est douloureuse : enlevée puis amenée par bateau sur une île avec des centaines d’autres jeunes filles, elle a été réduite en esclavage, avant d’être amenée à Xinching pour servir de « femme de réconfort » auprès de l’armée japonaise. Elle s’enfuit, et rencontre Chen qui l’aide à se cacher, et ainsi la sauve.

Femme de réconfort : euphémisme employé au Japon à propos des victimes, souvent mineures, du système d’esclavage sexuel de masse organisé à travers l’Asie par et pour l’armée et la marine impériales japonaises, en particulier durant la Seconde Guerre mondiale. L’emploi de ce terme est fortement contesté par les organisations qui exigent du gouvernement japonais des excuses formelles et des réparations, et préfèrent le terme non édulcoré d’« esclaves sexuelles ». (source : Wikipédia)

Voilà donc le début de cette histoire.
Chacun des personnages prend la parole tour à tour, et le récit progresse ainsi, empruntant la voix de l’un puis l’autre. La cuisine devient une sorte d’arène, et les plats, des armes. Charmer la langue de son adversaire, voici le défi quotidien de Chen : « Les plats les plus rares n’existent que pour l’instant où, quittant les mains du cuisinier, ils rencontrent la langue humaine ». La langue, organe essentiel pour goûter les plats, les apprécier, réussira-t-elle à s’imposer face au couteau, au sabre du commandant ? Chen et Otozô s’affrontent ainsi dans ce combat indirect, dans lequel s’infiltre Kilsun petit à petit.

Ah oui d’accord ! On comprend mieux le titre maintenant !

Eh oui ! Héhé

Bon, et tu as bien aimé ?

Eh ben pas vraiment. Et je ne saurais pas trop dire pourquoi, parce qu’il y a un peu tout ce que j’aime bien dedans. Comme un plat où tous les ingrédients sont bons, mais le résultat n’est pas à la hauteur des espérances (oui, moi aussi je fais des comparaisons culinaires).

J’aime les personnages qui prennent en charge des chapitres différents, que l’on entende plusieurs voix. J’aime les récits chorales en fait, que ce soit au cinéma ou en littérature. J’aime ne pas toujours savoir qui parle, jusqu’à reconnaître un élément de langage ou de caractère qui dévoile l’identité de l’interlocuteur, j’aime ces constructions de personnages et d’histoire.

J’aime l’Histoire, j’aime les événements historiques vus par un prisme personnel, je trouve que cela apporte souvent des dimensions plus intimes à des drames globaux et permet de multiplier les points de vue à propos d’un même événement. D’autant que cela traite d’une période que j’ai déjà évoqué dans un autre article, et forcément, ça apporte encore un nouvel éclairage, et de nouveaux détails.

J’aime manger, je ne sais pas si ça doit peser dans la balance, mais c’est une vérité.

Alors, où est le problème ?

Je ne sais pas s’il y a vraiment un problème, mais peut-être plutôt une question de goût (on y revient !). J’avoue que j’ai eu l’impression d’être un peu noyée dans les infos. Les personnages étant de trois nationalités différentes, ils font référence à des noms, du vocabulaire, des lieux, des événements tirés de leurs histoires nationales particulières, ou parfois communes, et j’étais un peu perdue.

Il y a aussi beaucoup de références à la cuisine, forcément, mais pour moi, trop nombreuses. Les temps de cuisson, les manières de cuisiner, les noms précis des aliments, leurs provenances, tous ces détails émaillent le récit. Et effectivement, cela ajoute une sacrée dose de réalisme, et ancre les actions. Mais moi ça m’a un peu saoulée. C’était trop, je n’avais pas besoin d’en savoir autant. Ou en tout cas, ce n’était pas ce que j’avais envie de savoir.

Je ne crois pas non plus m’être suffisamment attachée aux personnages. Je n’ai pas réussi à franchir une certaine distance, et à éprouver de l’empathie pour eux (pourtant, ils prennent cher). Et j’ai eu l’impression de regarder leur histoire d’un peu loin. D’ailleurs, à la fin, il y a un petit épilogue « Que sont devenus les personnages principaux », un peu comme à la fin d’un film vous savez. J’ai trouvé l’idée super chouette, mais j’ai été déçue par leurs destins à vrai dire.

Je me dis que c’est peut-être aussi parce que je sors de la lecture de Monsieur Han, et de toutes les recherches faites autour de ce roman. Je ne l’avais pas anticipé, mais j’avais peut-être envie d’autre chose, plutôt que de retourner dans l’histoire du pays, et des atrocités en temps de guerre. Comme une indigestion de l’horreur en quelque sorte.

Ah.

Oui, c’est un peu dommage, mais ça n’a pas empêché la lecture d’être agréable, et je suis sûre que ce roman saura séduire tous les amateurs d’Histoire et de cuisine. Il a d’ailleurs reçu un prix en 2017, preuve de ses qualités. Le style est précis, vivant et enlevé, donc il ne s’agit vraiment que d’une histoire de goûts personnels.

J’ai lu que le roman allait être adapté en drama, et effectivement, je trouve que cela s’y prêterait bien. Je serai curieuse de voir l’adaptation, de quelle manière l’histoire est traitée, et quels choix sont faits (vous savez, ce moment du :  » ah oui, ils ont fait comme ça, eh bah j’aurais pas fait ça moi, attendez, je vais leur écrire pour leur proposer une nouvelle version. Comment ça, je suis pas scénariste ? Oui, bon, et alors ? »)

Bon, vous l’aurez compris, malgré les nombreuses qualités de ce roman, je dois reconnaître que je reste sur ma faim.

(Oh lala, QuoiCorée, vous faites des blagues si rigolotes hihihi! La faim, pour un livre qui parle de cuisine !! Arrêtez, arrêtez, vous allez me faire rougir ! Eh attendez, vous la connaissez celle-là, c’est l’histoire d’un pingouin qui respire par)(Brutale interruption de la retransmission)

FAIM

(ça y est, on ne m’arrête plus)

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