
K-Pop, Soft power et culture globale ? Vos papiers svp 🥸
• Auteurs : Vincenzo Cicchelli, Sylvie Octobre
• Genre : essai sociologique
• Parution : Presses Universitaires de France, 2022
• Nombre de pages : 314
• Des mêmes auteurs : « Les k-dramas, ces séries qui font du bien » (PUF, 2024)
Je voulais faire une petite intro mignonne, et tout, mais je suis déconcentrée par cette photo de couverture ! Elle crie clairement la banque d’images, vous ne trouvez pas ? (oui désolée si j’offense des banques d’images qui me lisent). Bon, mais rassurez-vous, on ne va pas s’arrêter à ça, et je me suis dit que ce livre, déniché dans ma bibliothèque de quartier, pouvait être une manière claire de comprendre le phénomène de cette culture sud-coréenne que je ne fais qu’entrevoir pour l’instant. Les auteurs du livre sont chercheurs tous les deux, et sociologues. La maison d’édition, les Presses Universitaires de France, est réputée, ça contrebalance la photo banque d’image ! J’étais convaincue. Zou, dans ma besace.
Et j’ai bien fait de l’emprunter, car c’est une mine d’informations à propos de la Hallyu, cette « vague coréenne », qui a déferlé sur le monde il y a quelques années. Je ne peux vraiment que vous conseiller de lire ce livre, si le sujet vous intéresse. Il renferme beaucoup beaucoup d’informations, fruit du travail des deux auteurs. J’ai essayé de le résumer, et c’est très long ! Prenez un verre d’eau, et éventuellement de quoi grignoter (recommandations de l’OMS).
J’ai essayé de faire très attention à ne pas dénaturer les propos des auteurs, ni ceux des personnes interviewées. Car ce livre se compose de deux parties : une première sur la pop culture globale, et la pop culture coréenne spécifiquement, et une deuxième, analyse d’extraits et conclusions d’entretiens conduits auprès d’un groupe de jeunes fans de la Hallyu.
J’ai trouvé le sujet extrêmement intéressant. J’ai pris conscience de ce qu’était réellement la pop culture, et quelle était sa dimension commerciale. Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’avoue que je ne m’étais pas questionnée plus que ça sur la pop culture. J’en avais une vision vague, sans réellement pouvoir la définir avec précision. Alors, tous ensemble :
Qu’est-ce que la pop culture ?
La pop culture est une fabrique des communs, principes et idéaux, normes et valeurs, modèles et imaginaires culturels. Eh oui, c’est vrai que nous partageons tous, via la pop culture, des références, des images, et mêmes des envies communes ! Ça paraît évident comme ça, mais je ne l’avais jamais envisagée d’une manière aussi crue. A la base, la pop culture se divisait entre quelques pays, principalement les États-Unis, l’Angleterre pour la musique pop, la France et la Belgique pour la BD, le Japon pour les mangas et les animés, mais aussi, dans une moindre mesure, Bollywood, Nolliwood, ou encore les telenovelas. En seulement une trentaine d’années, la Hallyu a fait basculer ce rapport de forces.
D’après les auteurs, la pop culture possède certains traits majeurs, dont voici le premier : elle a fait se rapprocher l’art et le consumérisme. A savoir une production artistique que l’on peut reproduire efficacement et de manière rationalisée.

Dans la musique, cela s’est traduit par une standardisation de la durée des chansons (calquée sur les contraintes de diffusion), et la recherche de nouveautés faciles à identifier et retenir (avec des refrains par exemple). A cela s’ajoute l’importance prise par le visuel des chansons (cf. les clips vidéos devenus incontournables, cf. MTV), mais aussi par l’image des artistes.
De plus, la pop culture est populaire (oui c’est ça le « pop »). Elle se présente donc comme une alternative à la culture « snob », et est conçue pour plaire au plus grand nombre. Internet a d’ailleurs été un excellent accélérateur de diffusion.
La pop culture est esthétiquement inclusive. Ça, ça veut dire qu’elle mélange des modèles esthétiques déjà connus à des choses un peu plus de niche. Par exemple, Tarantino s’inspire, entre autres, des films de sabre japonais, des séries d’action asiatiques, ou encore des westerns spaghetti pour son film Kill Bill. Kill Bill devient un nouveau produit à part entière, et va à son tour s’intégrer dans la pop culture, et deviendra une nouvelle référence commune. Et l’une des forces de la pop culture, c’est aussi qu’elle se cite elle-même, se pastiche elle-même, voire même se parodie. Dans le livre, Shrek est donné en exemple, et c’est vrai que c’est typiquement un film qui est truffé de références à d’autres œuvres. Les œuvres s’entre-alimentent en quelque sorte.
La pop culture est créatrice de mythes universels. Il y a pléthore de films sur l’origine du monde et des hommes (cf. 2001 L’odyssée de l’espace), les films sur une éventuelle fin du monde, sur des avenirs possibles, sur la vie ailleurs (et même « dans une galaxie lointaine, très lointaine »), ou sur la cohabitation humains/machines. Néanmoins, les mythes de la pop culture gardent tous foi en l’humanité, et en le progrès, ce qui permet de toujours garder un fond d’optimisme.
Et enfin, la pop culture, produite par les industries culturelles, diffusées par les médias de masse et les réseaux, et consommée par des publics globaux, met les amateurs/consommateurs en contact avec des cultures très éloignées (oui, j’ai appris en phonétique une chanson de Devdas quand j’avais 17 ans, je peux encore vous faire le refrain si vous voulez), et elle nous donne, à nous tous, des quatre coins du globe, de nombreuses références communes. Elle créée donc des communs dans l’imaginaire quotidien, et des sensations d’appartenance à des communautés qui dépassent les nations.
C’est fou, non ??
Bon, jusqu’aux années 70-80, la pop culture, c’était donc plutôt une affaire occidentale. Mais ensuite, l’Asie s’est lancée dans la course, après en avoir saisi les enjeux économiques, mais aussi symboliques. Et c’est là que nous assistons, émus et émerveillés, à la naissance de la Hallyu (regarde, elle a tes yeux).
A Hallyu is born
Remontons le temps dans les années 90. Mitterrand est dans son deuxième mandat, le mur de Berlin est fraîchement démoli, Mylène chante « Désenchantée », et Jordy « Dur, dur d’être un bébé ». Voilà, le décor est planté. Globalement, ce n’est pas la joie en France, et en Asie non plus dites vous : il y a une énorme crise financière. Et bam, c’est là qu’arrive Jurassic Park (1993).
Alors, je vous explique, parce que le rapport n’est pas évident. Le gouvernement sud-coréen se rend compte que ce film a coûté 65 millions de dollars, et qu’il en a rapporté 850 millions en une année. Pour la Corée du Sud, les revenus du film sont équivalents à l’exportation de 1,5 millions de véhicules… Ni une, ni deux, le gouvernement propose un « Plan stratégique pour la croissance de l’industrie des Arts visuels de haute technologie ». Ce moment marque un tournant : la culture devient évaluée comme une marchandise, par sa valeur d’échange. Le secteur se développe alors grâce à des fonds provenant des géants de l’industrie (Hyundai, Samsung…), des grands conglomérats (les fameux « chaebols » que l’on croise dans les dramas et qui veulent toujours contrecarrer les plans de nos amoureux jeunes premiers), et des autorités publiques sud-coréennes qui investissent à fond dans les produits culturels. Des mesures gouvernementales sont prises pour attirer les investissements, en particulier en 1999, avec une loi de déréglementation fiscale pour la promotion des industries culturelles.
En parallèle, le gouvernement investit dans internet. Eh oui, pour que les consommateurs consomment, il faut leur en donner les moyens. Et dans les années 2010, chaque foyer est équipé d’une connexion haut-débit. Autre chose super astucieuse : fin 2011, la Corée du Sud conclut un accord avec Youtube pour qu’une catégorie dédiée à la K-pop soit créée sur le site, ce qui permet d’asseoir et crédibiliser ce genre musical.
Le gouvernement devient un promoteur de la Hallyu. Il continue aujourd’hui, en mettant en avant l’aspect culinaire de la Corée du Sud, tout en continuant à s’appuyer sur des produits déjà bien identifiés du grand public, à savoir la K-pop, les K-dramas…
Maintenant qu’on a le contexte, voyons les rouages plus précisément.
La petite fabrique des Idols
Ce titre est mensonger, car il s’agit d’une grande fabrique. Quatre sociétés de production se partagent le marché des « trainees » (à prononcer à l’anglaise, sinon ça fait bizarre), et des « Idols ». Sachant qu’un trainee est une sorte d’apprenti Idol, et l’Idol est l’artiste se produisant sur scène, la consécration en somme.
Les sociétés de production ont mis en place leur propre système de création de « stars », dérivé d’ailleurs d’un modèle japonais. En gros, des centaines de jeunes gens sont auditionnés – je n’ai pas les chiffres sous les yeux, mais ce sont vraiment des centaines. Ok, je viens de retrouver. Je me mettais complètement le doigt dans l’œil en parlant de centaines, voyez plutôt : « Environ 2,1 millions de prétendants ont été auditionnés en 2012 pour Superstar K, la plus grande compétition de chanson télévisée (soit 4% de la population sud-coréenne) ; par comparaison, les candidats à American Idol ne sont que 80 000 environ (soit 0,03% de la population des Etats-Unis) ». (p.56) Voilà, donc beaucoup de monde est auditionné, et ceux qui sont sélectionnés intégreront une formation qui pourra durer des années (sachant que ce n’est pas parce que vous êtes trainee que vous deviendrez Idol, parfois, ça n’aboutit à rien du tout…). Les jeunes gens sont choisis sur leurs qualités personnelles (caractère, beauté…), plutôt que sur leurs qualités artistiques, puisqu’ils apprendront à danser, chanter ou encore jouer la comédie pendant leur formation, qui est vraiment intense. Et les maisons de production ont un contrôle très strict sur leurs recrues, qui va de leur régime alimentaire à l’interdiction d’avoir de relation amoureuse.
L’Idol n’est pas un spécialiste dans une discipline, mais un artiste polyvalent. Il doit pouvoir chanter, danser, jouer, animer une émission… C’est ce qu’on appelle un produit transmédiatique. Les acteurs de K-dramas chantent des titres de BO de dramas, ou des chanteurs de K-pop tournent dans des dramas. S’ajoutent des contrats en tant que mannequins, égéries pour des marques de cosmétique ou de mode. Tout ça augmente leur visibilité médiatique et les rend omniprésents. Sans oublier les nombreuses vidéos tournées au téléphone portable des moments « backstage », sans costume, sans maquillage, qui consolident l’effet de proximité avec leur public.
Parce que les Idols ne seraient rien sans… leurs fans !
Une armée de fans
Les fans sont doublement importants : les réactions immédiates des publics à la sortie d’un épisode de K-drama, recueillies sur les réseaux sociaux principalement, sont rapidement analysées par les entreprises de production. Critiques, attentes, déceptions, analyses de scènes, tout est utilisé pour vérifier que les choix faits sont les bons, ou qu’au contraire, il faut changer quelque chose dans le scénario. C’est possible grâce à un système de production en flux tendu et des tournages « dernière minute ». Cela assure un succès d’audience, et permet de vendre les épisodes plus cher.
Idem pour la K-pop : l’Idol dépend de ses fans, consommateurs loyaux et dévoués. Ils sont mobilisés à chaque événement, et deviennent des agents de diffusion de contenu ou d’événement. Sans oublier les achats de disques, et de merchandising. ARMY, la communauté de fans du groupe BTS, a été créée quelques semaines seulement après la formation du groupe et a une ampleur mondiale (la chaîne Youtube du groupe comptabilise plus de 63 millions d’abonnés, pour vous donner un ordre de grandeur et sans parler des autres canaux de diffusion, ils remplissent des stades dans le monde entier, et ont été classés parmi les 25 personnalités les plus influentes d’internet par le magazine Times). D’après le Hyunday Research Institute, BTS a un impact économique supérieur à celui des JO d’hiver de 2018. Voilà qui est dit.
Les fans ont également un réél pouvoir, et peuvent se mobiliser massivement pour des causes qu’ils jugent justes. Citons en exemple la désorganisation du meeting de Donald Trump en 2020 : les fans ont réservé « des places en masse, laissant croire à un succès, alors que le président en campagne s’est retrouvé devant une audience clairsemée ». Ou encore l’organisation des fans après la mort de George Floyd « pour soutenir les manifestations contre les violences policières racistes qui secouaient le pays. » (p.283) Ces organisations sont mises en place par les fans de manière autonome, démontrant leur grande capacité à utiliser les réseaux sociaux, et à mobiliser rapidement leur communauté.
La pop culture à la coréenne
Pour rappel, la pop culture est populaire, donc doit plaire au plus grand nombre. La Corée du Sud, pays traversé par des occupations successives, a réussi à s’adapter aux marchés étrangers. On retrouve donc des références occidentales dans la K-pop, les groupes incluent des « performeurs » vietnamiens ou thaïlandais pour satisfaire les consommateurs de ces pays, certaines paroles sont en langue étrangère (anglais, japonais, thaïlandais…). Cette stratégie d’adaptation se poursuit avec des collaborations, comme par exemple BTS qui collabore avec Nicki Minaj en 2018 sur une version de la chanson « Idol ». C’est une incorporation d’éléments étrangers dans les produits culturels coréens, qui ne mettent pas en péril l’équilibre d’ensemble : tous les éléments agissent ensemble, sans perdre leur individualité.
Cette pop culture fait la promotion du beau, beauté physique et morale. La société coréenne est très concurrentielle, et la beauté physique tient une grande place dans la société. Elle est une condition à la réussite sentimentale, scolaire, ou encore professionnelle. La chirurgie esthétique s’est donc largement développée en Corée du Sud, qui est le 3ème pays, derrière les États-Unis et le Brésil, pour le nombre d’actes de chirurgie esthétique effectués chaque année. En 2016, 100 000 étrangers (de Chine, des États-Unis, et du Japon notamment) sont venus en Corée du Sud pour la chirurgie esthétique. Un tourisme autour de la chirurgie a d’ailleurs émergé.
La beauté (ou l’absence de beauté d’ailleurs) et la chirurgie esthétique ont inspiré des séries, comme « Birth of a Beauty », ou encore « My I.D. is Gangnam Beauty », dont les héroïnes principales voient leurs vies changer radicalement – et non sans heurts – suite à des actes de chirurgie esthétique, radicaux eux aussi.

Cette recherche du beau touche, bien sûr, les groupes de K-pop, les acteurs, actrices et mannequins, dont bon nombre sont passés sur le billard, mais aussi l’esthétique générale des productions culturelles, qui est pensée pour être « belle » (retouche des images pour obtenir de belles couleurs, effets vidéos, etc…). Pas de place pour le dissonant ou l’agressif, visuel ou sonore, pour le négligé. C’est beau, doux, mais surtout… powerful !
Le « sweet power »
Tout ceci s’accompagne d’une politique visant à promouvoir ses propres intérêts géopolitiques. La Corée du Sud entend donner une certaine image d’elle-même via le « nation branding » (= concept qui applique des techniques de marketing à la promotion de l’image et de la réputation d’une nation), et se présenter comme une alternative à l’hégémonie pop culturelle américaine. Ce « nation branding », deviendra par la suite un « global branding », une marque globale, permettant d’acquérir un pouvoir d’attraction que les auteurs proposent de nommer le « sweet power », et qui est donc le fruit d’une collaboration entre l’État et les industries culturelles.
Entre 1997 et le début des années 2000, le gouvernement met en place plusieurs initiatives poussant à développer la créativité du pays. Ça ne marche pas aussi bien que prévu, et les résultats ne sont pas ceux escomptés. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement et les grands groupes industriels mettent en place un indicateur qui analyse toute une batterie de statistiques afin d’orienter de nouvelles politiques de promotion de l’image du pays. Un nouvel objectif émerge : la diplomatie des valeurs, et un storytelling ad hoc se met en place (rappel de ce qu’est le storytelling : l’art de raconter une histoire pour communiquer).
Les industries culturelles vont nourrir cette diplomatie de valeurs en suivant trois axes :
- par des films ou séries historiques, aux décors soignés et précis, et aux costumes splendides, elles vont valoriser la résilience du peuple coréen. En explorant son histoire, que ce soit à la période Joseon (tiens, on en parlait justement dans Mr Queen il n’y a pas longtemps) ou sous l’occupation japonaise, le message est celui d’un peuple qui reste noble et fort malgré les oppressions ou les difficultés.
- par la mise en scène d’une technologie non menaçante. Ici, pas de robot qui ravage le monde, ni de catastrophe naturelle ou humanitaire. Dans la plupart des K-dramas à succès, les humains maîtrisent la modernité technologique. Elle est au service de l’humain, l’IA n’est pas un danger, et aide au contraire les utilisateurs à accéder à une meilleure connaissance d’eux-mêmes. (Ce qui n’empêche pas les séries d’être truffées d’appareils technologiques. Pratique, surtout lorsque les acteurs font la promotion des derniers modèles de téléphones sortis.)
- par des individus en harmonie avec le monde dans lequel ils évoluent, et qui recherchent aussi leur développement personnel. L’individu est subordonné aux liens avec la communauté, avec laquelle il doit entretenir des relations de courtoisie et de déférence (surtout en Corée du Sud, où la hiérarchie familiale, ou professionnelle, est si importante). Dans les dramas, même si les personnages sont souvent dans des situations difficiles ou douloureuses, cela ne va pas heurter leur entourage, la société autour d’eux ne va pas changer. Ils vont trouver leur propre manière d’atteindre leur objectif dans le respect du collectif.
Le « sweet power » a la tâche de transmettre des valeurs positives, et s’attache à dépeindre la Corée du Sud comme une nation « douce », et non menaçante (malgré qu’elle soit la 6ème puissance militaire mondiale), respectueuse de ses voisins. Cela fonctionne, et se voit principalement via le tourisme, qui a connu un formidable essor. Grâce à une curiosité liée aux produits culturels (visite de lieux de tournage, concerts de K-pop – BTS a attiré en moyenne, depuis ses débuts en 2013, 800 000 touristes chaque année pour ses concerts), mais aussi grâce à une envie de découvrir le pays, éveillée par la Hallyu dans son ensemble.
Néanmoins, ce « sweet power » ne rencontre pas que des adhésions, en particulier auprès des pays de l’aire économique chinoise, qui considère que les produits sud-coréens menacent les marchés domestiques. De même au Japon, un mouvement anti-Hallyu a vu le jour.
Et en France alors ?
Les auteurs s’interrogent en effet sur le succès de la Hallyu auprès des jeunes Français, alors que la France n’a pas de lien historique fort avec la Corée du Sud, que les échanges culturels ont été longtemps minimes, et que l’enseignement du coréen n’est pas répandu. Aujourd’hui, la Corée du Sud et la France ont tissé des liens commerciaux solides, l’année France-Corée (2015-2016) a permis de mettre le pays en lumière, mais pour autant, les touristes français ne représentent qu’à peine 0,6% des touristes qui voyagent en Corée du Sud.
Pourtant, l’intérêt pour la Hallyu en France peut s’expliquer de différentes manières : l’apparition encore relativement récente et nouvelle des produits culturels sud-coréens (c’est dans les années 90 que l’on assiste à la première grande rétrospective du cinéma coréen, ou encore au lancement de collections de romans coréens dans diverses maisons d’édition), l’offre en K-Pop et K-drama qui ne cesse d’augmenter sur les plateformes de streaming, et aussi, la reprise de concepts de jeux télévisés sud-coréens. « Mask Singer », une émission musicale diffusée sur TF1 en 2019, et créée d’après un concept coréen, a rassemblé plus de 6 millions de téléspectateurs. L’engouement est bien réel, et se traduit également par la multiplication des événements liés à la Hallyu. Depuis la première édition du festival KCON en 2016, le nombre de concerts organisés en France n’a eu de cesse d’augmenter, 162 000 tickets ont été vendus pour les deux concerts de BTS en France en 2019, et 11 concerts de K-Pop étaient programmés en 2020.

On peut ajouter à cela une tradition d’ouverture culturelle française (et franchement, ça m’a vraiment fait du bien de lire ce paragraphe sur l’ouverture aux autres cultures en France, dans ces périodes de repli sur soi. Je ferme la parenthèse).
Les grands musées sont engagés depuis longtemps dans la promotion des cultures du monde, par le biais d’expositions notamment. Dans le secteur des arts vivants, des compagnies ou des orchestres du monde entier sont régulièrement invités à venir se produire sur les planches françaises.
Depuis les années 70, la politique de rayonnement culturel « à la française » mise sur la réciprocité : la France est l’un des marchés les plus importants pour les films étrangers, et en ce qui concerne la littérature, le français est la 2ème langue de traduction dans le monde. La vague culturelle japonaise, arrivée en France dès les années 70, et consolidée dans les années 90, a peut-être aussi permis une familiarisation avec les produits culturels asiatiques.
Portraits de nos jeunes fans en feu
Pour brosser le portrait des fans de Hallyu en France, et enquêter sur les raisons de son succès auprès des jeunes, les deux chercheurs ont interrogé 74 personnes, âgées entre 18 et 31 ans. Ces personnes sont fans depuis 2 à 15 ans, ce sont des amateurs confirmés. Ce sont majoritairement des femmes (il y a 8 hommes), appartenant pour la plupart aux classes moyennes. Ils ont été recrutés via des sites de fans, ou par recommandation d’autres fans.
A lire leurs témoignages (dont est largement émaillée cette deuxième partie de l’ouvrage), il semble se dégager une envie de nouveauté, de sortir des choix de divertissements français ou américains, une possibilité de faire un « choix original ». Pour eux, les séries coréennes représentent une alternative aux séries américaines, contenant, pour certains, trop de violence et de sexe. Les K-dramas privilégient « l’évocation et la suggestion, plutôt que la description ou la reproduction de la réalité. » Ils sont d’ailleurs sensibles à l’esthétique des dramas, les scènes ne sont jamais « choquantes », « crues », même lorsqu’il s’agit de scènes de violence. Ils insistent par ailleurs sur la possibilité du public d’appréhender lui-même les motivations des personnages, au lieu de tout expliciter par des dialogues. Les dramas mettent en valeur les combats intérieurs des personnages, les émotions étant révélées par des expressions subtiles et nuancées du visage (à grand renfort de gros plans sur les visages des acteurs. Et j’avoue que je suis impressionnée par leur capacité à pleurer sur commande, de la petite larme en bord de paupière, aux gros sanglots, cette palette lacrymale m’épate complètement !).
L’esthétique est également abordée par le biais de la beauté des chanteurs et des acteurs, dont les codes de beauté s’éloignent des « canons » occidentaux masculins. Le fait que les hommes prennent soin d’eux, par les soins de beauté, l’habillement, et adoptent dans les séries une attitude « tendre », qu’ils s’expriment sur leurs sentiments, propose une autre version de la masculinité, souvent décrites avec enthousiasme par les interviewées. Cette nouvelle masculinité pourrait être considérée comme un déplacement des normes vers une « masculinité féminine », et une victoire du regard féminin,ou « female gaze » (p.210). La pudeur des premiers émois – les dramas faisant la part belle aux histoires d’amour, les petites attentions délicates, cette exploration du sentiment amoureux à petits pas semble remporter les suffrages d’une partie des interviewés, qui « revendique le même goût pour les histoires « mignonnes » ».(p.214)
Plus largement, ils notent le soin apporté à l’esthétique des décors, des paysages, ou encore des costumes. La langue coréenne, même si elle n’est pas comprise, a de belles sonorités.
Hallyu de l’autre côté du miroir
Pour autant, les personnes interrogées ne prennent pas tout ce qu’ils voient dans les séries ou sur les réseaux pour argent comptant. Même si certains d’entre eux pensent voir dans les produits culturels « un miroir » de la société coréenne, d’autres soutiennent qu’il ne s’agit que « d’une façade. » Les fans disent avoir conscience que la vie en Corée du Sud n’est pas celle dépeinte dans les dramas, et qu’il existe un « envers du décor » (p.215) Compétition féroce, dictature des apparences, répression des émotions et impossibilité de discuter franchement (de par cette appartenance à une communauté, une société, fortement hiérarchisée), domination masculine (les chanteuses ont des images bâties sur des fantasmes masculins, et intègrent des rôles comme la « femme-enfant », ou la « femme fatale », et dans les dramas, malgré des personnages féminins forts, perdure la division traditionnelle sexuée des rôles. De plus, des scandales sexuels et des cas de harcèlement, d’abus de pouvoir, et de violences sexuelles, pointés du doigt par les interviewés, ont éclatés ces dernières années), retard dans la lutte contre les discriminations (l’absence de multiculturalisme et la quasi-absence de couples homosexuels dans les produits culturels sont particulièrement remarqués), ces aspects sont également bien présents à l’esprit des personnes interrogées, conscientes des contradictions entre les valeurs d’amour et d’acceptation (de soi et des autres) prônées par les produits culturels et leurs acteurs, et des inégalités et exclusions très fortement ancrées dans la société sud-coréenne. D’ailleurs, leur passion pour la Hallyu ne s’étend pas forcément à la société coréenne. Elle est vue plutôt comme une « voie d’amélioration », que comme un « modèle de remplacement ». (p.233)
Adolescence
Nombreuses sont les personnes interviewées qui peuvent situer avec précision le moment où elles sont devenues fans : à l’adolescence, pendant les années collège.
Selon les cas, la Hallyu a revêtu des significations très différentes durant cette période, et ce délicat passage à l’âge adulte. Elle a pu jouer un rôle de singularisation, un moyen de s’affirmer et de prouver son autonomie face à la pop culture « mainstream ». D’autres y ont trouvé des outils d’acceptation d’eux-mêmes, grâce notamment aux messages positifs véhiculés par la Hallyu. Ou encore des grilles de lecture de leurs propres situations, calquées sur des situations similaires croisées dans les séries.
Sans oublier que l’adolescence est aussi le moment où l’on se détache des influences familiales. La Hallyu, trop récente pour être bien connue de la génération des parents, ne va pas être accueillie de la même manière au sein des différentes familles. Certains parents y voient une « preuve de l’ouverture d’esprit » de leur enfant (p.243), d’autres, au contraire, sont plus critiques envers cette passion, voire même la dénigre, plus ou moins ouvertement, et plus ou moins durement. L’une des fans raconte que ses parents se sont opposés à sa passion pour la Hallyu, mettant en avant le caractère efféminé des chanteurs, et la mauvaise qualité des produits. Une autre partage l’incompréhension de ses parents, qui attendaient que « cela passe », comme une passade liée à l’immaturité de leur fille.
Les pères sont nombreux à critiquer les produits sud-coréens et à rejeter des masculinités alternatives : « efféminés, homosexuels… », « énonçant une supposée déviance à la fois par rapport à la norme hétérosexuelle de la vie sentimentale et par rapport à la norme de genre de la masculinité hégémonique ». (p.245)
Bien que blessants et désagréables, les commentaires adressés par les parents sont renvoyés au conflit de générations : « c’est normal, c’est pas de leur génération », concluent de nombreuses jeunes filles. (p.247) En revanche, ce qui peut être plus difficile à encaisser, ce sont les critiques et les moqueries venues des camarades, des « pairs ».
Pas vraiment grand public, l’attachement à la Hallyu est passée sous silence plutôt que revendiquée dans la cour de récré, pour ne pas être la proie des railleries. Cela peut se transformer en une solitude, un isolement douloureux. Les jeunes fans peuvent alors se tourner vers Internet et les réseaux, afin de se mettre en contact avec d’autres fans du monde entier. Ces liens au sein de communautés de passionnés forme une sorte « d’intimité numérique » entre « des individus qui n’ont en commun que la force d’une passion partagée, et qui échangent, collaborent, et créent des liens à forte dimension émotionnelle. » (p.193) Ces contacts virtuels peuvent aussi donner lieu à des rencontres réelles, lors d’événements de fans, et déboucher sur de réelles amitiés.
Et après ?
De ces jeunes interviewés, on retient que leur engouement pour les produits culturels sud-coréens dénote, d’après eux, d’une ouverture d’esprit. Ils ressentent une fierté d’avoir, les premiers, eu le « flair » de repérer et apprécier la Hallyu, et pour certains, d’avoir appris le coréen en autodidacte.
D’autres vont rêver, ou même décider d’aller plus loin avec ce bagage, élargissant ainsi « l’horizon des possibles scolaires et professionnels ». (p.265). Reprise d’études, inscription à l’INALCO (l’Institut national des langues et civilisations orientales), mise en valeur de la polyglossie, certains d’entre eux vont opter pour des études en lien avec leur passion, tandis que d’autres vont faire valoir leur connaissance du coréen et de la culture coréenne pour intégrer des cursus d’études supérieures sélectifs, leur passion pour la Hallyu devenant ainsi un atout pour leur avenir.
Pour finir !!!!! Oui, c’est enfin la fin !
Je ne peux que recommander de lire ce livre (oui je l’ai déjà dit, mais c’est tout en haut de cette page, et depuis, vous avez peut-être oublié vu la looooongueur de cet article, et qu’il s’est écoulé environ 2 ans entre le début de la lecture et maintenant).
Je n’ai évidemment pas tout résumé, il y a beaucoup trop d’informations, mais j’ai vraiment essayé de transmettre un maximum d’éléments. Il y a tellement de choses à dire ! Merci encore à Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre pour ce travail.
Si vous souhaitez lire quelques pages, les premières sont disponibles sur le site des Presses Universitaires de France : https://www.puf.com/k-pop-soft-power-et-culture-globale
Voici une vidéo de Vincenzo Cicchelli venu parler du livre sur le plateau de TV5 Monde :
Et enfin, j’ai lu sur un site de ventes en ligne un commentaire d’un monsieur à propos de ce livre, que j’ai trouvé vraiment pertinent, voire même touchant :
Pour comprendre ce que nos enfants aiment!
J’ai dévoré cet ouvrage qui m’a enfin permis de comprendre pourquoi mes enfants (un garçon qui a 25 ans et une fille qui en a 17) écoutent de la k-pop et regardent des k-dramas à longueur de journée (et parfois la nuit…). J’avoue qu’ayant quelques préjugés sur la Hallyu, j’ai mis du temps pour apprendre à décrypter la force de ses contenus culturels, positifs, enjoués, mais pas du tout niais ou naifs. Comme le disent les deux auteurs, deux universitaires reconnus, les produits culturels de Corée du Sud représentent vraiment une alternative à l’hégémonie américaine sur la pop culture. Lecture salutaire que je recommande
Je suis super admirative de ce monsieur qui a souhaité comprendre et qui a pris le temps de le faire (surtout après avoir lu les témoignages des interviewées rapportant les réactions négatives de leurs parents…).
Rien que pour ça, je trouve que ça vaut le coup de lire ce livre, parce que c’est un phénomène intéressant, actuel, qu’on apprécie ou pas, mais dont il serait dommage de ne pas connaître l’histoire, ni les tenants et les aboutissants. Pour une meilleure connaissance de soi, et des autres (c’est beau comme un drama hein !).


