
La vie rêvée des plantes ? Vos papiers svp 🥸
• Titre original : 식물들의 사생활
• Auteur : Lee Seung-U
• Genre : fiction fantastique
• Parution : 2000 (Corée du Sud)
• Version française : Editions Zulma, 2006 / Gallimard, 2009
• Traducteurs : Choi Mikyung, Jean-Noël Juttet
• Nombre de pages : 300 / 256
La vie rêvée des plantes est un roman de l’auteur sud-coréen Lee Seung-U, un auteur très populaire en Corée, et pas mal connu en France également. Bon, ça c’est Wikipédia qui me l’a appris, puisque, bien évidemment, je ne connaissais pas. Pour être honnête, ce bouquin ne m’attirait pas spécialement de prime abord, malgré son titre, que je trouve joli. Le résumé de 4ème de couverture m’a laissée un peu perplexe. J’ai compris qu’il s’agissait d’une histoire de famille, avec des secrets (« d’obscurs secrets de famille » plus exactement), de la culpabilité, un frère amputé des deux jambes, une histoire d’amour et de jalousie…
Bon, je n’étais pas hyper emballée. Je ne sais pas si c’est parce qu’on sort de la période de Noël, et que je n’avais pas vraiment envie de me plonger dans des histoires de famille (parce que c’est toujours la période de l’année où tout le monde est hyper enthousiaste et heureux de se revoir, mais sur les rotules en même temps. Ce qui fait un mélange parfois assez explosif. Bref, j’étais moyen chaude à l’idée de lire des histoires de dynamique familiale). Ce qui a attiré mon attention, et m’a fait me dire : pourquoi pas, c’est qu’il est dit que le personnage principal était contraint d’espionner sa propre mère pour un mystérieux commanditaire. Je me suis dit qu’il devait y avoir par ce biais-là une mise en abyme de situations menant aux révélations (oui parce que si on met des secrets de famille dans une histoire, c’est quand même pour les révéler, enfin du moins, on l’espère), et que ça pourrait être intéressant. Je me suis laissée tenter.
L’histoire commence de manière assez brutale. Nous sommes avec un personnage masculin, qui parle à la 1ère personne. Nous ne connaissons ni son nom, ni son âge, ni rien du tout. Il est au volant de sa voiture, et parle avec une prostituée. Il marchande avec une prostituée plus exactement, qui finit par monter dans sa voiture. Direction l’Eden, un love hôtel (j’ai fait quelques recherches pour ceux qui ne connaissent pas : un love hôtel, ou love room, est un hébergement pouvant être loué de nuit, comme de jour, pour des durées courtes. Selon les sites internet spécialisés, un love hôtel offre « toute la flexibilité pour organiser en toute liberté votre rendez-vous galant, pour des moments intimes et sensuels ». Ce concept séduit « une clientèle à la recherche d’un petit nid douillet pour un rendez-vous sentimental ou coquin ». Voilà, vous savez maintenant ce qu’est un love hôtel, fais-en bon usage Harry).
Le personnage n’est pas vraiment sympathique, il parle de manière assez brutale, voire agressive. On apprend par la suite que cette prostituée ne lui est pas destinée à lui, mais à son frère (c’est donc là que le frère amputé des deux jambes fait son apparition). On découvre un peu plus le narrateur : il a quitté le domicile familial parce qu’il ne s’y sentait pas bien, et n’est rentré qu’il y a un an. Il a découvert par la même occasion que son frère n’avait plus de jambe, ce qui lui a quand même causé un choc, et il a donc décidé de rester auprès de lui.
On fait ensuite connaissance avec toute la famille, que l’on peut qualifier sans trop se tromper de plutôt dysfonctionnelle (le frère est clairement dépressif et traverse de violentes crises, le père ne parle pas, et passe son temps dans son jardin, ou devant son jeu de go, la mère est absente toute la journée, prise par son travail de gérante de restaurant). Et se déroule l’historique des relations intra-familiales : le narrateur (il s’appelle Kihyon, on l’apprend assez tard dans le livre) a toujours admiré son grand frère, et l’a toujours jalousé. Leur mère ne cachait pas sa préférence pour son aîné (qui s’appelle Uhyon, voilà, les présentations sont faites), et il semblait que les bonnes fées s’étaient penchées sur son berceau pour lui accorder toutes les qualités. Forcément, Kihyon se sentait un peu lésé dans l’histoire, et de plus en plus jaloux. Jalousie qui s’est intensifiée lorsque, à l’adolescence, Uhyon a eu une petite amie : Sunmi. Elle est belle, rayonnante, elle chante merveilleusement bien et a même composé une chanson à l’intention de son amoureux : Mon photographe. Parce que oui, Uhyon photographie ce qui l’entoure, pas à des fins artistiques ou esthétiques, mais pour montrer le monde, tel qu’il est. Il prend notamment en photos des manifestations et des bavures policières, afin d’en garder témoignage. Bref, Sunmi et Uhyon filent le parfait amour. Mais Kihyon tombe aussi amoureux de Sunmi, d’une manière presque obsessionnelle, et va épier derrière la porte de son frère lorsque le couple est à l’intérieur, ou encore dérobe la cassette audio des chansons de Sunmi. Un jour, Uhyon le réalise et bam, grosse baston entre frères. Kihyon quitte la maison en embarquant, comme un trophée, l’appareil photo d’Uhyon qu’il s’empresse de revendre.
Et c’est ce qui causera le malheur de son frère, car dans cet appareil restait une pellicule qui tombera entre les mains de la police. La police fouillera la chambre d’Uhyon, trouvera les autres photos de manifestations et bavures policières, l’enrôlera de force dans l’armée, où, lors d’un exercice, il sautera sur une bombe, et perdra ses deux jambes. Cruel enchaînement me direz-vous. Voilà pourquoi Kihyon se sent coupable, et effectivement, il y a de quoi. Il souhaite donc se racheter, et pour ce faire, il a une idée : retrouver l’appareil photo de son frère pour qu’il se remette à la photo et sorte de son mutisme et sa dépression, et contacter Sunmi (qui a disparu de la circulation pendant son absence). Il veut la retrouver pour aider Uhyon, mais aussi dans l’espoir de, peut-être, qui sait, enfin vivre une histoire d’amour avec elle, donc c’est une mi-bonne action on va dire. En parallèle, il y a effectivement ce mystérieux commanditaire qui embauche Kihyon afin qu’il espionne sa propre mère. En effet, Kihyon, pour gagner sa vie, a monté une entreprise de services, dont l’espionnage fait partie.
C’est un peu un loser ce gars quand même (oui, j’avoue que j’ai mis du temps avant d’avoir une once d’empathie pour lui), il est assez médiocre, animé par le besoin de se racheter plus que par un amour fraternel ou familial. Disons que ce n’est pas un personnage « noble », ce qui en fait, me direz-vous, un personnage très humain. Et c’est vrai, oui, oui, vous avez raison. On le sent parfois un peu paumé, entre les personnes qui composent sa famille, et qu’il ne connait pas vraiment. Il va d’ailleurs être amené à percer un secret concernant sa mère lors d’une de ces fameuses filatures : il voit sa mère dans une maison au bord de la mer à côté de laquelle pousse un palmier, en compagnie d’un homme qui semble très âgé ou très diminué, qu’elle enlace, nue. Il est un peu choqué, et encore plus lorsque, plus tard, sa mère lui téléphone pour lui demander de la rejoindre, lui et son frère, dans cette maison. Ils y vont, et révélation : l’homme, qui entre-temps est mort (elle l’aura donc revu la veille de sa mort), est le premier amour de leur mère, il y a 35 ans. Il occupait un poste haut placé en politique, mais à cause d’un revirement de gouvernement (j’extrapole un peu peut-être, mais c’est du moins ce que j’ai compris), a été arrêté. Elle ne l’a donc plus jamais revu, avant cette journée de la veille, 35 ans plus tard, dans cette maison où ils avaient vécu quelques jours ensemble avant l’arrestation. On apprend par la même occasion qu’Uhyon est le fils de cet homme, dont elle a toujours été amoureuse, malgré son mariage avec son mari actuel.
On ne peut pas dire que ces révélations resserrent les liens familiaux, du moins pour l’instant. Kihyon poursuit sa quête de Sunmi, et retrouve sa trace. Elle est maintenant bibliothécaire, et vit dans un petit appartement. Kihyon, en bon détective et fidèle à ses habitudes, l’espionne avant de l’approcher, et découvre qu’elle entretient une liaison avec son beau-frère (un peu glauque ça). Il parvient à entrer en contact avec elle, et lui apprend ce qu’est devenu son grand frère, et l’état dans lequel il se trouve. Sunmi est abasourdie, et nous comprenons que c’est son beau-frère qui l’a maintenue dans l’ignorance de la situation, à dessein (toujours un peu glauque). Sans savoir que Kihyon l’espionne, elle demande des comptes au beau-frère, qui, pour toute réponse, la roue de coups (je vais pas me répéter, vous avez compris). Kihyon vole à son secours (enfin une belle action ! Bien joué Kihyon), et emmène Sunmi, qui est en sale état. Il roule, il roule, jusqu’à ne plus avoir d’essence, et là, surprise, ils sont à côté de la fameuse maison au palmier, au bord de la mer. Il y laisse Sunmi, récupère de l’essence, et fonce chez lui pour embarquer son frère et l’amener au bord de la mer. Mais manque de bol, il a disparu. Kihyon fouille la chambre d’Uhyon, et tombe sur un dossier dans lequel son frère a compilé diverses histoires mythologiques, toutes ayant en commun de relater des histoires d’amours brisées, où les amoureux contrariés se sont transformés en végétaux. Ce dossier se conclut par une histoire de l’invention d’Uhyon, où il se voit lui-même et Sunmi changés en arbres dont les branches s’enlacent pour l’éternité. C’est joli, mais ça ne nous dit pas où il est passé. Jusqu’à ce que Kihyon se souvienne d’une promenade qu’il avait faite récemment avec son grand frère, dans un bois, non loin de là. Son frère avait alors été fasciné par les arbres, qu’il comparait à des corps s’enlaçant (on tient une piste !). Kihyon s’élance dans cette forêt, c’est la nuit, on n’y voit rien. Il tombe sur le fauteuil roulant abandonné de son frère, et un peu plus loin, le retrouve lui, en compagnie de leur père.
C’est un moment assez touchant, ce moment à trois. On y découvre l’histoire du père, personnage plutôt effacé jusque là, et c’est joli. Cet homme, que l’on ne voyait parler qu’à ses plantes en les caressant, seuls « êtres » auxquels il exprimait sincèrement de l’amour (« La surface de la plante perçoit grâce à ta main ce qu’il y a dans ton cœur. […] Un amour feint les laisse de marbre. Pour être en communion avec elle, il faut être sincère. C’est comme pour les hommes. » avait-il d’ailleurs dit à son fils) se révèle être un homme d’une grande sensibilité. Et amène le dénouement de l’histoire : c’est lui le mystérieux commanditaire. Il connaissait l’histoire d’amour entre sa femme et l’homme politique, mais est tombé amoureux d’elle dès le premier regard. Après l’arrestation de l’homme, il l’a soutenue et aidée lors de son accouchement, a pris soin d’elle, et ils se sont finalement mariés. Elle, sachant qu’il était amoureux d’elle, lui, sachant qu’elle en aimait un autre, mais être à ses côtés suffisait à son bonheur (ah, l’amour). Le père, apprenant 35 ans plus tard que l’homme politique était de retour, mais très malade, a voulu que ses fils devinent par eux-mêmes la vérité à propos de la naissance d’Uhyon, et a provoqué la découverte du secret. Ce dénouement me paraît quand même un poil rapide. Il fonctionne, bien sûr, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai cette sensation de deus ex machina.
Tout le monde rentre à la maison, la famille est réunie, et Kuhyon prend l’initiative de cuisiner. Mais c’est un moyen de demander de l’aide à son père, ancien cuistot. Ils se rapprochent donc au-dessus des fourneaux, et le repas prêt, les quatre membres de la famille se retrouvent autour de la table. Et ce sont de réelles retrouvailles, vraiment agréables, pour les personnages autant que pour la lectrice que je suis. Le climat est apaisé. Le lendemain, Kuhyon emmènera son frère à la maison au bord de la mer, où il y retrouvera Sunmi. Il rêve de la scène, son frère et Sunmi à nouveau réunis dans un monde d’amour, et lui, caché et à l’écart, les regardant. Un peu moins coupable, mais pas complètement blanchi, et ne pouvant s’empêcher d’éprouver un pincement au cœur en voyant le couple. Dans son rêve, les rayons du soleil versent des larmes, contrairement à lui, qui n’en verse jamais.
Une fin plutôt douce pour une histoire qui ne l’est pas vraiment, et j’avoue que c’est assez agréable de refermer ce livre avec une sensation d’apaisement. Pas tout à fait tout de même, puisque l’on sent que notre personnage principal est encore torturé, mais il semble accepter sa place. Je n’ai absolument pas parlé de l’importance des plantes dans ce roman (alors que quand même, c’est dans le titre). J’en parle là, parce que les plantes, arbustes, arbres, ont une grande signification tout au fil du roman. Ce sont souvent d’ailleurs des moments de respiration, où l’on sort un peu de l’histoire pour plonger dans des métaphores, ou des descriptions visuelles plutôt calmes. Il y a notamment tout un fil rouge autour des arbres qui s’enlacent, ceux que l’on voit dans la forêt, mais aussi ce palmier, qui pousse à côté de la maison au bord de la mer. Il est improbable qu’un palmier pousse sous ces latitudes, mais pourtant, il s’y est plu. Kuhyon imagine que ce palmier, à l’origine une graine venue de l’autre côté de la mer et échouée sur la plage, a des racines plongeant sous la mer qui retrouvent les racines d’un autre arbre, sur le rivage opposé. Les arbres sont vraiment des personnages à part entière.
Une réflexion toute personnelle : la traduction a été faite en 2006 à priori, ce qui n’est pas très vieux, mais j’avoue que je me suis demandée si une traduction plus récente ne m’aurait pas aidée à rentrer plus facilement dans l’ouvrage. J’ai trouvé parfois la traduction un peu datée, de par l’emploi de certains termes. Kihyon vouvoie ses parents, et c’est vrai que dans notre culture, cela met une distance qui peut être perçue comme bourgeoise. Je pense que c’est pour traduire le plus fidèlement possible le temps utilisé en coréen, qui doit être honorifique (je tâtonne hein, parce que je suis loin d’être experte), mais je trouve que ça biaise un peu les rapports aux parents, ça sonne un peu artificiel, puisqu’ils n’ont pas vraiment l’air bourgeois. Je dis ça, mais je ne sais pas comment il aurait été possible autrement de traduire ce respect et cette distance…
Aussi, j’ai été surprise des références à la religion catholique. En effet, Kihyon se souvient à plusieurs reprises de passages lus dans la Bible de sa mère, le love hôtel du début s’appelle l’Eden, sa mère nue au bord de la mère est comparée à Eve, et la thématique principale des deux frères peut faire penser à un épisode de la Bible. J’ai lu par la suite que Lee Seung-U avait suivi des cours de théologie, et effectivement, je trouve que cela transparaît. Je n’ai pas été désagréablement surprise, cela m’a juste étonnée de lire des références à la Bible dans un livre sud-coréen. Je crois que j’ai été surprise de voir des références que je reconnaissais, alors que j’aborde une littérature à moi totalement inconnue. J’ai ensuite appris qu’environ 8% de la population sud-coréenne était catholique, et que finalement, et comme dans tous les pays, beaucoup de religions étaient présentes en Corée du sud.
Et pour conclure : « Certes, on ne voit pas les arbres se déplacer, mais est-ce une raison pour croire qu’ils ne bougent pas ? »

