Made in Gangnam, de Ju Won-kyu

couverture du roman made in gangnam de ju won-kyu

Made in Gangnam ? Vos papiers svp 🥸

Titre original : 메이드 인 강남
Auteur : Ju Won-kyu
Genre : thriller, roman social
Parution : 2019 (Corée du Sud)
Version française : Editions Picquier, 2021
Traductrices : Lee Hyon-hee, Catherine Biro
Nombre de pages : 168

Alors il faut savoir que dans la librairie où je suis partie à la pêche à la littérature sud-coréenne, il n’y avait pas beaucoup de choix au rayon « littérature asiatique ». J’ai donc attrapé Made in Gangnam, dont le résumé de la quatrième de couverture donnait l’impression d’un récit sombre et un peu sulfureux (il y a quand même « drogue », « jeu » et « sévices sexuels » dans ce résumé) sur ce fameux quartier de Gangnam. Si vous ne l’avez pas encore compris, moi, je débarque un peu en matière de Corée du Sud, donc je ne connais pas ce quartier, ni ses habitants, ni ses habitudes. (Je n’ai même pas vu le clip de Gangnam Style, et je refuse de le regarder, même à des fins documentaires, de peur d’avoir dans la tête le refrain pour l’éternité. Et l’éternité, ça a l’air long.)

En tout cas, il me semblait tenir là un bon polar, plutôt sombre, et j’étais assez curieuse de le lire. Eh bien je n’ai pas été déçue. Pour le coup, on est plutôt dans une ambiance à la Old Boy, c’est sombre, c’est glauque, c’est vicieux.

L’histoire commence avec Min-kyu, un homme dont ne sait pas grand chose au début, si ce n’est qu’il a une quarantaine d’années, qu’il n’a pas l’air super épanoui dans la vie, et qu’une reproduction du « Déjeuner sur l’herbe » de Manet orne sa chambre (tableau qui lui fait de l’effet d’ailleurs, rapport aux femmes nues). Il est d’ailleurs interrompu dans sa masturbation (voilà, appelons un chat un chat) par un coup de fil d’un certain Ujin, qui lui dit qu’il vient de recevoir une commande à traiter de suite. Les deux hommes raccrochent, Min-kyu reçoit un texto avec une adresse : Hôtel Carmen à Samseong-dong (qui est donc un quartier de Gangnam, lui-même district de Séoul, comme je l’ai lu sur internet par la suite). Voilà pour cette introduction.

Une petite vue de ce fameux quartier, histoire de situer un peu. Alors effectivement, c’est le quartier des affaires, c’est huppé, dynamique, urbain, aisé. Si on dézoome un peu, nous sommes au sud-est de la Corée du sud (en bas à droite).

Il est 3h20 du matin, nous sommes dans ce fameux quartier de Samseong-dong, dans un endroit appelé « la House ». Et nous faisons connaissance avec un nouveau personnage : Jo Jae-myeong. Il se trouve présentement dans les toilettes de cette « House », et il s’apprête à avoir un rapport sexuel avec une prostituée par superstition : en effet, il vient de miser une très grosse somme d’argent au jeu (cette House m’a tout l’air d’être un tripot clandestin haut de gamme), et, je cite : « avoir copulé avec une femme protège contre la malchance et donne une énergie nouvelle. Cette thèse n’est évidemment valable que pour ceux qui y croient, et c’est le cas de Jae-myeong en ce moment même ». Il retourne à la table de jeu, et bien évidemment, perd. On apprend donc qu’il vient de miser de l’argent qui ne lui appartenait pas, mais qui provient d’un fond (douteux) de la police (car il est policier), et qu’en plus, il a contracté un emprunt auprès du gérant de la House (qu’on imagine pas des plus arrangeants dès lors qu’on lui doit de l’argent). Bref, notre policier a l’air d’être en mauvaise posture. Il se fait menacer par les sbires du gérant du lieu, sort, c’est le petit matin, et ça va mal. Paf, il reçoit un coup de fil de son indic, qui lui dit qu’une chose grave s’est passée cette nuit à l’hôtel Carmen ! Mais dites donc, ce serait-y pas le même hôtel que celui où doit se rendre Min-kyu, notre amateur de peinture ? Mais oui, tout à fait, c’est bien le même !

Et hop, nous voilà transportés en pleine scène de crime : nous avons 10 victimes, tout le monde est nu et ensanglanté, il y a des bouteilles d’alcool par terre, et les morts semblent avoir été causées, pour les hommes, par une overdose de meth, et pour les femmes, par des coups de couteau. Nous sommes à nouveau aux côtés de Min-kyu, qui inspecte la scène, et nous comprenons que son métier, c’est de « planifier », à savoir, couvrir les 0.1% de la population la plus riche du pays, afin qu’ils ne soient ni poursuivis, ni éclaboussés par un scandale. En gros, maquiller les preuves et acheter les silences. Notre planificateur, ces meurtres, ça ne lui fait ni chaud ni froid, tellement il est habitué à voir des choses atroces commises par les puissants de ce monde. En revanche, ce qui l’intrigue, c’est l’une des victimes, un jeune homme à dreadlocks et piercing en forme de croix, qui tranche avec les autres, plutôt du genre patrons d’entreprises. Et effectivement, ce jeune homme, c’est Monky, un idol de K-pop très populaire. Voilà qui sera plus difficile à maquiller… Mais Min-kyu n’est pas un professionnel pour rien, et propose à son patron de faire passer sa mort pour un suicide (ça crée un mythe, et apparemment, ça passera tout seul auprès de l’opinion publique). Zou, proposition acceptée ! Quant à notre policier corrompu, il le devient un peu plus en acceptant de faire une conférence de presse annonçant le décès par suicide du jeune chanteur. Ah, enfin, tout va bien dans le meilleur des mondes.
Sauf que, patatras, Jae-myong, le policier, apprend par son indic que Monky n’est autre que le fils illégitime d’un gros PDG d’une entreprise de construction (je choisis délibérément de ne pas vous encombrer la tête avec un nouveau nom, on verra si j’ai bien fait ou pas). Et que ce gros PDG possède ses coordonnées, et que même, il l’appelle, et que même, il lui propose de se rencontrer. Oui, that escalated quickly. Cerise sur le gâteau (kimchi sur le bulgogi), il le charge de retrouver l’assassin de son fils en échange du remboursement de sa dette colossale. Le policier n’a pas le choix, il va devoir mener l’enquête, sinon… (j’ai essayé de mettre du suspense, pour coller à l’ambiance polar. Au cas où ça ne soit pas clair, il faut comprendre que sinon, c’est la mort)(oui, la mort !).

Commmence donc l’enquête à proprement parler, où l’on suit en parallèle la progression de Jae-myong, et celle de Min-kyu, qui se retrouve lui aussi à démêler les fils de ces intrigues, toujours à des fins de « planification ». Nous croiserons en route des prostituées, une en particulier qui provoquera un petit pincement au cœur du planificateur (cet homme est finalement humain, même si son émotion est de courte durée, à savoir une vingtaine de minutes), un « roi des chiens noirs » (titre qui claque quand même, et qui est attribué à une sorte d’homme sanguinaire, également maquereau de la prostituée sus-mentionnée), des enveloppes de billets, et des vidéos de vidéosurveillance compromettantes.

C’est un polar, je ne vais donc pas vous raconter la fin (je dis quand même que l’un des personnages que j’ai cité meurt, mais je ne vous dis pas lequel)(je sais, c’est cruel comme un PDG de Gangnam), mais l’histoire révèle son petit lot de twists inattendus, d’hémoglobine et de scènes scabreuses. Je ne connais pas du tout le milieu de la pègre sud-coréenne, ni son aspect corrompu, mais je dois avouer que l’ambiance lourde et poisseuse décrite dans le livre est palpable. Roman décrit comme à la fois thriller et roman social, l’auteur y dépeint une société extrêmement violente (pour les hommes, mais surtout pour les femmes, qui sont clairement quantités négligeables, exploitées, brutalisées et asservies). L’argent est le moteur des actions de la plupart des personnages, et l’on plonge dans cet aquarium où les gros poissons mangent les petits, qui n’ont même pas la possibilité de s’enfuir (j’ai tenté une métaphore aquatique, oui). Il en résulte un désespoir profond, et un sentiment d’impuissance tenace.

À la fin du roman, il y a une postface de l’auteur que j’ai beaucoup apprécié. Il y décrit ce quartier de Gangnam, et sa signification pour les Coréens : « C’est à Gangnam que s’est enracinée la coalition des riches, aussi solide qu’une forteresse de fer, c’est là que se retrouvent les valets du capital, ceux qui vivent dans le culte de l’argent, animés d’une étrange aspiration et d’un curieux mélange d’amour et de haine. » Il ajoute également que c’est l’endroit où se trouvent les maisons de productions, et s’y retrouvent donc les aspirants acteurs, qui s’entassent dans de minuscules chambres louées à prix d’or, en rêvant de devenir un jour des stars. Le tableau est donc plutôt sombre : « Quels que soient les efforts que l’on déploie, le plongeon est profond et sans retour ». Néanmoins, il explique ensuite qu’il en vient à rêver d’un monde nouveau. Une petite touche d’espoir donc, au milieu de toute cette noirceur. Il faut quand même savoir que l’auteur (et ça, je le sais parce que c’est sur la 4ème de couverture) s’est inspiré de faits réels pour écrire son roman. Ju Won-kyu est pasteur, mais a également infiltré l’un de ces clubs huppés comme chauffeur-livreur, et a donc été témoin direct des injustices et des traitements réservés à ceux qui sont au service des riches, ce petit peuple à disposition pour assouvir les fantasmes des plus fortunés, quitte à y perdre son humanité, si ce n’est sa vie.