
Impossibles Adieux ? Vos papiers svp 🥸
• Titre original : 작별하지 않는다
• Autrice : Han Kang
• Genre : fiction fantastique, historique
• Parution : 2022 (Corée du Sud)
• Version française : Grasset, 2023 / Le Livre de Poche, 2025
• Traducteurs : Kyungran Choi, Pierre Bisiou
• Nombre de pages : 336 / 336
• Han Kang a reçu le Prix Nobel de Littérature 2024
• « Impossibles Adieux » a reçu le Prix Médicis étranger 2023, et le Prix Émile Guimet de littérature asiatique 2024
Impossibles Adieux est un roman de la poétesse et autrice sud-coréenne Han Kang. Je commence tout juste à me plonger dans la littérature sud-coréenne, il était donc difficile de passer à côté de ce roman, mis en lumière par le Prix Nobel de littérature reçu par son autrice. Je me disais qu’un livre ayant reçu une reconnaissance internationale serait peut-être plus simple à aborder en termes de style ou encore de thématique. Comme ce livre représente ma porte d’entrée dans la littérature sud-coréenne, je n’ai donc pas encore vraiment d’éléments de comparaison. Je ne suis ni critique littéraire, ni spécialiste de la culture sud-coréenne. Je ne fais ni un résumé complet, ni une analyse du livre, mais plutôt une traversée écrite de ce dont je me souviens après la lecture, et de mes impressions.
Impossibles Adieux commence dans la moiteur et la canicule de Séoul. Le récit est raconté à la première personne, et nous transpirons donc en compagnie de Gyeongha, la narratrice. Cette femme, autrice elle-même, est hantée par les souvenirs de son précédent roman, et par les recherches documentaires effectuées afin de mener à bien l’écriture de celui-ci.
Honnêtement, à ce moment de la lecture, j’étais un peu perdue (et oui, ce n’était pourtant que le début !). Ne connaissant pas les autres ouvrages d’Han Kang, je me suis réellement interrogée sur la frontière entre ce personnage de fiction, et l’autrice du roman elle-même. J’ai même pensé que notre narratrice était peut-être un double d’Han Kang, et que je n’allais pas tout comprendre, puisque je n’avais pas lu ses autres romans. Je me suis convaincue par la suite qu’il s’agissait bien d’un personnage « indépendant », et que le personnage allait s’épaissir, ce qui me permettrait de le détacher de sa créatrice, et de le suivre sans confusion. Je me suis à moitié trompée puisque de la confusion, il y en a eu à nouveau par la suite, mais au moins, plus à ce sujet là !
Je poursuis donc. Gyeongha écrit et réécrit son testament. On apprend, sans connaître les tenants et les aboutissants (ce qui, personnellement, ne m’a pas gênée), qu’elle est très seule, et qu’il y a eu une rupture avec sa famille, son conjoint, son enfant. Elle est donc seule, allongée sur le carrelage du salon pour espérer capter un peu de fraîcheur, et fait des allers-retours à son bureau pour écrire puis réécrire son testament. Là, vous me direz, ça n’a pas l’air joyeux. Effectivement.
Le récit n’est pas linéaire, le présent est entre-coupé de flashbacks, plus ou moins évidents. J’entends par là qu’il faut parfois avancer de quelques lignes pour comprendre que l’on vient de faire un bond dans le passé. La première fois, j’étais un peu déroutée (oui, encore !), et j’ai finalement accepté la convention littéraire. J’ai même apprécié ces souvenirs distillés au fil du récit, et dont des références étaient faites parfois lors du récit au présent. Cela établit une sorte de connivence avec notre personnage, puisqu’avec une phrase, on comprend à quel souvenir elle fait allusion. On a l’impression de comprendre, et c’est assez satisfaisant !
Donc, pour la troisième fois (je vais y arriver !), Gyonghea est chez elle. C’est la déprime, il fait chaud à crever, tout ça, tout ça. Elle a des migraines atroces, ne sort pas de chez elle et fait un cauchemar récurrent à propos d’une forêt d’arbres noirs sur une montagne, et de tombes qu’elle devine se trouver à leurs pieds. C’est franchement glauque en terme d’ambiance. Le temps passe, l’hiver et sa fraîcheur arrivent. Et puis un jour, elle reçoit un SMS de son amie Inseon. Inseon et elle sont amies depuis 20 ans, elles ont travaillé ensemble. Inseon est vidéaste, et a réalisé des documentaires (sur des sujets glauques aussi, il faut le dire, et tragiques), mais depuis quelques années, elle est retournée sur son île natale, l’île de Jeju (oui, l’île sur laquelle a été tourné le drama « Retour à Samdal-ri », une île, deux ambiances. Mais c’est pour vous aider à visualiser les paysages, si vous avez vu le drama.)

Sinon, tadam, la voici cette fameuse île. Il semble que ça soit une destination touristique prisée, à cause de ses superbes plages et de sa culture particulière. Voilà, je n’en sais pas beaucoup plus, je ne suis pas experte hein.
Inseon est retournée sur l’île de Jeju quatre ans plus tôt pour s’occuper de sa mère âgée, et malade d’Alzheimer. Elle est devenue ébéniste et construit des meubles. Mais si elle envoie un message à notre narratrice, c’est pour lui dire de venir la rejoindre sans délai dans un hôpital du continent. Ni une, ni deux, Gyonghea, un peu perplexe tout de même, se rend au chevet de son amie. Et ce qu’elle découvre est (je vous le donne en mille) assez glauque (et oui !) car son amie s’est tranchée les doigts avec une scie qu’elle utilise dans son atelier d’ébénisterie. Les doigts ont été recousus, mais une infirmière doit piquer les deux doigts toutes les trois minutes pour… je ne sais plus exactement pourquoi, mais en gros pour éviter que ça nécrose quoi. ça sent le sang, c’est cracra, mais malgré tout, Inseon garde plutôt le sourire – enfin, à la question « ça va aller ? », elle répond « Il faut bien continuer, pour l’instant », ce qui est, à l’échelle de notre roman, une belle positive attitude. Et là, Inseon demande à notre héroïne si elle peut aller dans sa maison, sur l’île de Jeju, afin de nourrir son perroquet. Inseon avait deux perroquets, l’un est (surprise !) mort depuis quelques mois, mais l’autre non, et s’il n’a ni eau ni aliment d’ici le soir, il ne survivra pas. Gyonghea, devant l’insistance de son amie, accepte la mission.
Et là commence ce qui est l’épopée de Gyonghea. Je vous passe les détails, mais en gros, elle débarque sur l’île de Jeju en pleine tempête de neige (elle a d’ailleurs pris le dernier avion qui y allait, car le temps allait être ensuite trop mauvais pour voler). Il fait froid, c’est la tempête (oui, je l’ai déjà dit, mais je le redis parce que c’est VRAIMENT la tempête). C’est super galère pour arriver à la maison de son amie, les magasins sont tous fermés,il fait sombre, il n’y a personne, elle attend des heures dans le froid à un arrêt de bus sans toit pour s’abriter, aux côtés d’une énigmatique et silencieuse vieille dame. Qui fait finalement écho à l’étrangeté et au silence des environs. Le bus arrive enfin, et la rapproche de la maison. Mais ensuite, elle doit retrouver son chemin (alors qu’elle n’a rendu visite à son amie qu’une fois auparavant) en pleine nuit, elle tombe, elle gèle, elle pense mourir de froid. Finalement non, elle arrive à se relever, et trouve bon gré, mal gré, sa route, non sans avoir perdu son téléphone portable dans la chute.
Ce récit est épique, vraiment, et lorsque je parle d’épopée, je le pense pleinement. Les descriptions sont splendides, l’ambiance, le froid sont palpables, on voit les flocons de neige tomber, on ressent ce silence induit par la neige, cette solitude glacée. J’ai été réellement happée par ce froid, par ce récit.
Une fois arrivée dans la maison, Gyonghea découvre que le perroquet est (surprise !)(en fait non) mort. On fait un passage dans l’atelier de son amie, où le sol est couvert de copeaux de bois, mais aussi de flaques de sang. Gyonghea entreprend d’enterrer le petit corps du perroquet au pied d’un arbre qui se trouve dans la cour de la maison, et dont les feuilles bougent avec le vent et font des ombres comme des bras qui s’agitent dans le noir (alors je précise que j’ai lu ce livre de nuit, et franchement, cet arbre, je l’aime pas, il fait peur. Voilà. Alors si quelqu’un voulait bien le couper, ça me ferait super plaisir. Merci. Bien cordialement.) Elle retourne ensuite dans la maison, ajoutez à ça qu’il y a évidemment une panne de courant (vous le voyez le scénario de film d’horreur là ? Moi, oui, très bien même), et elle s’endort, dans la chambre de son amie (anciennement la chambre de sa mère) dans un lit traditionnel, à savoir un matelas à même le sol, et sous lequel, superstition oblige, est cachée une scie, afin de couper les cauchemars en deux. Et commence alors, de mon point de vue, la deuxième partie du récit.
Gyonghea se réveille, et dans une lumière glaciale, retentit un chant d’oiseau. Ama, le perroquet enterré la veille, se tient, bien vivant dans sa cage. A partir de ce moment, on glisse dans le récit, sans savoir s’il s’agit d’un rêve ou de la réalité. Car en plus de l’oiseau, Gyonghea trouve son amie Inseon, tranquillement endormie dans son atelier… En tant que lectrice, je n’ai pas cherché à comprendre réellement, j’ai décidé que j’acceptais, et que je comprendrai plus tard. Gyonghea elle-même s’interroge sur la réalité de ce qu’elle voit : si son amie est une âme, est-ce qu’elle ressent la chaleur du thé qu’elle boit ? Gyonghea accepte le « fantôme », mais s’interroge sur son fonctionnement. Alors, avec elle, on accepte, et on se met à se demander si, effectivement, une âme peut ressentir la chaleur (spoiler : on ne saura jamais). Et puis en fait, est-ce réellement une âme ? Est-ce un rêve ? (spoiler 2 : on ne saura jamais). Et surtout, est-ce important ? (spoiler 3 : je ne crois pas).
Cette seconde partie est extrêmement dense et mêle plusieurs époques. Notre présent « onirique », avec Gyonghea et Inseon (et Ama le perroquet), et des récits d’Inseon à propos de l’histoire de sa famille, intimement liée aux événements tragiques survenus sur l’île dans les années 50. Les récits s’entremêlent, il y a beaucoup d’informations, de générations qui se chevauchent, ça n’a pas été facile à suivre, honnêtement. Il faut s’accrocher un peu. Les récits à propos du passé (explications d’Inseon, témoignages écrits lus,…) sont en italiques, ça facilite tout de même un peu la compréhension. Mais il faut s’accrocher, surtout si, comme moi, vous découvrez au fur et à mesure de la lecture les atrocités commises en Corée. Il est tout à fait possible de suivre sans n’en rien savoir, mais je pense qu’un minimum de connaissances sur le sujet facilite la compréhension. Voici un très court résumé des événements, extrait de la page Wikipédia de Jéju :
Le soulèvement de Jeju (en coréen : 제주 4·3 민중항쟁 ou 濟州 4·3 民衆抗爭) désigne une insurrection qui commence le 3 avril 1948. De 14 000 à 30 000 personnes sont tuées (60 000 à 80 000 selon d’autres sources) dans les affrontements. La répression de l’insurrection par l’armée sud-coréenne a été décrite comme brutale, avec, outre les dizaines de milliers de morts, la destruction de 170 villages. Elle déclenche d’autres rébellions en Corée continentale. L’insurrection dure jusqu’en mai 1949, bien que des combats se poursuivent dans des poches isolées jusqu’en 1953. De nombreux habitants de Jeju se réfugient au Japon. Ce massacre est passé sous silence jusqu’à la chute de la dictature militaire, en 1987.
C’est ce soulèvement et les atrocités commises pendant et ensuite, qu’Inseon relate à son amie. Sa famille ayant été décimée et marquée au fer rouge par ces tragédies, Inseon raconte et raconte encore les massacres, sort des coupures de journaux, des listes de victimes, le tout soigneusement collecté et conservé par sa propre mère, cette veille dame au visage si doux, qui se révèle avoir oeuvré toute sa vie à rendre justice aux victimes, et aussi, à tenter de retrouver son propre frère, porté disparu après avoir été incarcéré par l’armée. Pendant ce dernier tiers du livre, se dévoilent sous les yeux de Gyonghea, et s’écrivent sous les nôtres, des photos de corps, de charnier, des squelettes, et l’horreur des tragédies particulières au milieu de la cruauté militaire. Devenant nous-mêmes témoins, terriblement impuissants, ce long récit enchevêtré ne laisse pas indemne. Le tout est éclairé à la lumière vacillante d’une bougie, entrecoupée des battements d’ailes d’un perroquet fantomatique.
Le récit se poursuit dehors, Gyonghea marchant dans les traces qu’Inseon laisse dans la neige, la guidant. Eclairées à la bougie dont il ne reste que peu de cire, les deux femmes s’assoient finalement, tandis qu’Inseon relate maintenant ses propres souvenirs. Puis elle s’assoupit dans la neige, et la bougie s’éteint, laissant place à l’obscurité. Notre narratrice sort une boite d’allumettes, en craque une, puis deux, puis trois, sans succès. La dernière sera la bonne, et dans l’obscurité et le silence « […] la flamme jaillit. Comme un cœur. Comme un bourgeon qui palpite. Comme l’oiseau le plus petit du monde qui se met à battre des ailes. »
C’est beau non ?

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